Le succès de la candidature de Michel Martelly et auparavant celui de Wyclef Jean, dans le cadre des présentes élections haïtiennes, traduisent l'échec des élites dites intellectuelles du pays.

Le succès de la candidature de Michel Martelly et auparavant celui de Wyclef Jean, dans le cadre des présentes élections haïtiennes, traduisent l'échec des élites dites intellectuelles du pays.

Depuis 1986, au départ de la dictature duvaliériste, ces dernières n'ont jamais réussi à rejoindre les attentes des masses populaires ou des classes moyennes et à les engager de manière dynamique dans le processus de changement sociétal nécessaire à l'émancipation du pays.

Malgré leur succès indubitable, malgré l'importance des débats soulevés par ces élites disséminées aux quatre vents, le message n'est jamais passé! Soulignons que les élites intellectuelles haïtiennes sont parmi les plus prolifiques, les plus adulées et les plus respectées dans la francophonie. Elles s'expriment tous en créole également.

En effet, partout ailleurs sur la planète, lorsque ces élites s'impliquent, d'importants changements s'opèrent dans leurs sociétés. Si l'on se réfère à des moments de l'histoire où celles-ci ont modifié le cours des événements, rappelons d'emblée le manifeste du Refus global au Québec et les évènements de Mai 68, en France.

Dans le premier cas, il s'agit d'un mouvement d'idées et d'actions initié en 1948, par des artistes de renom (peintres, poètes, psychiatres, et autres intellectuels), sous l'instigation de Paul-Émile Borduas et dans lequel on ne retrouve nul autre que Jean-Paul Riopelle, dont le renom se passe de présentation. Leur manifeste a contribué à jeter les bases d'un système de valeurs sociales et politiques qui allaient plus tard, vers 1960, opérer une transformation totale dans les structures mêmes de l'appareil politico-administratif de la province. Ce mouvement a entraîné dans son sillage toutes les classes sociales, d'éducation et de fortune confondues.

Le second mouvement germa des élites universitaires de France et, comme on le sait, a catalysé autant les syndicats que les ouvriers spécialisés (OS) de Renault et de Peugeot, du Pas-de-Calais  jusqu'au fond du Roussillon. Depuis, les structures sociales, religieuses et politiques de la France n'auront jamais été les mêmes.

Ce miracle ne s'est pas produit sur la terre d'Haïti... en tout cas pas à ce jour. La raison: l'impact et le succès des cris du coeur de nos élites semblent avoir plus d'échos au-delà des frontières d'Haïti qu'auprès des populations locales. Ces élites donnent plutôt l'impression de jouir en vase clos de leur triomphe sans parvenir à s'enraciner, pour toutes sortes de raisons, dans les processus de mutations profondes qui affectent la mère patrie, notamment auprès des masses populaires perdues, à la recherche d'une direction.

Dans un pays où le taux d'analphabétisme oscille, bon an mal an, autour de 80%, il demeure évident qu'un message au contenu plus populiste martelé dans l'expression vernaculaire a d'énormes chances de passer.

Dans un pays où plus de 75% du contenu des médias radiophoniques est occupé par la musique et les messages publicitaires, somme toute, dans un pays où le Kompa et la danse trônent en maîtres, on peut comprendre aisément le succès d'un artiste populaire charismatique qui, malgré ses pitreries et ses frasques qualifiées d'immorales sur scène, a réussi à galvaniser une partie importante de l'électorat.

Où sont les élites? Nul n'a vu venir cet intrus, même pas la communauté internationale, laquelle a dû d'ailleurs se plier aux désidératas des partisans de Michel Martelly, menaçant d'incendier le pays dans l'éventualité où leur nouveau messie serait écarté du second tour des élections présidentielles fixées le 20 mars prochain.

Si Mirlande Manigat a pu décrocher le ticket de la première place au second pour affronter Sweet Micky, elle doit surtout à sa persévérance sur le terrain depuis environ 15 ans, à l'appui indéfectible des mouvements féministes, des syndicalistes, aux alliances stratégiques et à ses racines régionales plutôt qu'à son statut d'étudiante à la Sorbonne.

Aujourd'hui, la table est mise pour ces deux protagonistes, qui symbolisent à leur manière des factions polarisées du spectre sociopolitique haïtien, qui se croisent souvent sans jamais réellement se parler comme l'a souligné récemment Jean-François Ruffin dans le magazine Paris Match. Réussiront-ils à dialoguer? Il ne reste qu'à attendre.