Depuis trois ans, j'enseigne le français aux adultes dans les classes destinées aux nouveaux arrivants. Chaque session, je reçois des étudiants installés au Québec depuis plus de 15 ans et qui maîtrisent bien peu le français. Chaque fois, je suis surprise : comment ces personnes ont-elles pu évoluer au Québec en étant relativement étrangères à la langue française et la culture québécoise?

Depuis trois ans, j'enseigne le français aux adultes dans les classes destinées aux nouveaux arrivants. Chaque session, je reçois des étudiants installés au Québec depuis plus de 15 ans et qui maîtrisent bien peu le français. Chaque fois, je suis surprise : comment ces personnes ont-elles pu évoluer au Québec en étant relativement étrangères à la langue française et la culture québécoise?

Ils ont souvent quelque chose en commun: ils sont arrivés au Québec à l'âge de 16 ou 17 ans - soit l'âge de l'entrée au cégep. Ils avaient évidemment le choix d'étudier en anglais ou en français. L'anglais est la langue de l'Amérique. Elle a un énorme pouvoir d'attraction chez les jeunes adultes qui y arrivent. Conséquence de cela, ils étudient au cégep en anglais, trouvent un travail dans un milieu anglophone et se mettent à vivre en anglais.

Mais l'économie étant ce qu'elle est, certains malchanceux perdent leur emploi, ils se retrouvent donc dans un bureau d'Emploi-Québec, où ils font une demande de chômage. L'agent d'emploi se doit alors, dans la mesure où les gens ne maîtrisent pas assez la langue pour travailler, inscrire ceux-ci à des cours de francisation pour qu'ils soient éligibles à une aide financière du gouvernement. Ils se retrouvent ainsi dans nos classes, sans maîtriser les concepts de base de la langue française, malgré le fait qu'ils vivent à Montréal depuis des lunes.

Un de mes étudiants me disait récemment qu'il aurait aimé apprendre le français plus tôt, mais qu'il croyait pouvoir l'éviter, l'Amérique anglophone lui semblant de prime abord plus attirante. Il avait la possibilité de se dérober à la culture québécoise, il l'a fait. La société québécoise n'aurait pourtant pas dû l'abandonner à son sort. Elle n'aurait pas dû paver le chemin vers leur désaffiliation.

Il ne nous manque pas de moyens. Et le système d'éducation est le premier d'entre eux. La proposition fait jaser, elle me semble pleine de bon sens: l'application de la loi 101 au cégep serait une solution pour que les jeunes immigrants maîtrisent la langue française et puissent s'intégrer et s'épanouir dans notre langue et se sentent ici chez eux.

Je comprends que des Québécois soient réfractaires au projet d'étendre la loi 101 au cégep. Certains voudraient pouvoir apprendre la langue anglaise pour décrocher un boulot où le bilinguisme est exigé, ou s'ouvrir sur le monde. À ceux-là, je réponds qu'ils peuvent facilement apprendre l'anglais n'importe où. En écoutant la télévision ou en participant à un échange linguistique, qui fait baigner les jeunes qui le suivent en contexte d'immersion totale dans une province canadienne.

René Lévesque a déjà dit, au sujet du bilinguisme dans l'affichage, que cela envoyait deux messages. À l'immigrant, cela démontrait qu'il y avait deux langues au Québec et qu'il pouvait choisir dans lesquelles il allait bâtir sa vie. À l'anglophone, qu'il n'aurait jamais besoin d'apprendre le français. Changez le mot «affiche» par le mot «cégep». Le fait que plusieurs jeunes immigrants choisissent le cégep en anglais démontre que nos politiques d'intégration à la majorité francophone ne fonctionnent pas.

C'est pour cela que je ne crois pas qu'étendre la loi 101 au cégep représente une fermeture aux autres, mais une ouverture à nous-mêmes.