La science économique n'échappe pas aux modes, ce qui nous conduit parfois à ne pas regarder au bon endroit: voici pourquoi des crises nous prennent au dépourvu ou que des investissements échappent au bon sens.

La science économique n'échappe pas aux modes, ce qui nous conduit parfois à ne pas regarder au bon endroit: voici pourquoi des crises nous prennent au dépourvu ou que des investissements échappent au bon sens.

Ainsi n'a-t-on plus, en Asie, de passion que pour la Chine, amplifiée depuis le début de cette année par le dépassement du Japon, relégué au troisième rang mondial. Le Japon qui, depuis son apparente stagnation commencée en 1991, a quasiment disparu de nos journaux et de nos investigations. À tort.

Si le Japon croît lentement, c'est en grande partie parce que son économie a changé de nature : les entreprises japonaises abandonnent progressivement les marchés grand public où la concurrence mondiale est vive et les profits modestes (il reste tout de même Toyota et Sony) pour se concentrer sur les composants industriels, invisibles aux consommateurs, mais indispensables à toute industrie moderne et irremplaçable.

Notons quelques exemples glanés ces jours récents, au Japon : Nippon Steel Works est la seule entreprise au monde capable de couler d'une seule pièce un coeur de réacteur nucléaire. Un iPhone G3, emblématique de notre société de consommation, comporte un tiers de composants made in Japan, particulièrement par Toshiba: sans les Japonais, pas de smartphones. Le futur Boeing Dreamliner sera composé pour un tiers en fibres de carbone, fabriquées exclusivement au Japon, en particulier par Toray. Il en ira de même pour Airbus. Tous les écrans de télévision HD au monde sont protégés par un film invisible que seules des entreprises japonaises savent faire.

Ce «savoir-faire» industriel est le coeur de la nouvelle économie japonaise: les industriels japonais ne sous-traitent pas hors de leur pays ces exclusivités mondiales. Plus prosaïquement, il n'existe qu'une seule entreprise au monde qui fournit tous les changements de vitesse de tous nos vélos et elle est japonaise.

En raison de la diminution et du vieillissement de la population, les industriels japonais sont aussi devenus les leaders mondiaux de la robotique (on préfère au Japon les robots à l'immigration de main-d'oeuvre) et de la domotique : des capteurs surveillent à distance l'état physique des personnes âgées à domicile. Avec 4% de la production nationale des entreprises réinvestie chaque année dans la recherche, le Japon est le premier dépositaire de brevets au monde, juste devant les États-Unis et avec des dizaines d'années d'avance sur la Chine: seule la Corée du Sud pointe derrière le Japon.

Cette stratégie industrielle, encouragée par l'État qui contribue à financer la recherche, a placé 200 à 300 entreprises japonaises, souvent de taille moyenne et familiale, généralement sans capitaux étrangers, en position de monopole mondial.

Ce nouveau modèle japonais suscite moins d'intérêt que la révolution managériale des années 80 quand Toyota ou Sony inventaient le Zéro Défaut et l'absence de stockage, copiés depuis par toutes les usines au monde. Manque de curiosité occidentale en raison de la discrétion peut-être de cette reconversion industrielle?

Et aussi, la dette japonaise inquiète: l'État japonais est endetté à hauteur de deux fois la production annuelle, un record mondial parmi les pays développés. Une dette qui trouble peu les Japonais, car elle est entièrement financée par eux-mêmes à des taux d'intérêt minimes.

La véritable menace, à terme, est la diminution de la population - commencée depuis 2005 - qui pourrait obliger l'État à se financer sur le marché mondial à des taux plus élevés. Cela n'arrivera pas avant 10 ans, un délai suffisant pour que les gouvernements réduisent leurs dépenses inutiles, en particulier dans les infrastructures publiques et des plans de relance hasardeux: à titre de rappel tout de même, l'agence Standards et Poor's vient de réduire symboliquement la note du Japon.

Ayons à l'esprit aussi, pour regarder au bon endroit, que le Japon pourrait bientôt devenir l'axe d'une vaste zone de libre-échange en négociation, le Pacific Trade Partnership, dont seront exclues les non-démocraties, c'est-à-dire la Chine.