La nouvelle a pris tout le monde par surprise, perplexité ou même stupeur en prime pour beaucoup d'entre nous. Après le tremblement de terre, l'épidémie de choléra et la crise politique dans laquelle le pays s'enfonce chaque jour un peu plus, Haïti n'avait vraiment pas besoin de l'arrivée impromptue d'un tel personnage. Comme si, avec lui, revenaient nous hanter les spectres d'un autre âge.

La nouvelle a pris tout le monde par surprise, perplexité ou même stupeur en prime pour beaucoup d'entre nous. Après le tremblement de terre, l'épidémie de choléra et la crise politique dans laquelle le pays s'enfonce chaque jour un peu plus, Haïti n'avait vraiment pas besoin de l'arrivée impromptue d'un tel personnage. Comme si, avec lui, revenaient nous hanter les spectres d'un autre âge.

Car, à l'heure où sont écrites ces lignes, on ne sait pas encore exactement quelle portée il prétend donner à son retour. Mais ce qui est sûr, c'est que Jean-Claude Duvalier n'est pas un citoyen haïtien comme les autres.

Dictateur aux mains tachées de sang, s'il n'a pas été, à l'instar de son père (François Duvalier), le fondateur des cruels tontons macoutes et de la tyrannie particulièrement sanguinaire qu'ils ont incarnée, Bébé Doc en fut le digne héritier.

Pendant les 15 ans de son règne (1971-1986), il ne s'est guère écarté des traces de celui qui l'avait installé au pouvoir, jouant comme lui - pour se maintenir en selle - du soutien diplomatique et économique des États-Unis, d'un anticommunisme obsessif et d'une répression tous azimuts (assassinats, tortures, exils forcés, terreur généralisée).

Avec le recul du temps et les difficultés qu'a connues depuis Haïti, son régime a pu sembler un symbole de stabilité. Or ce ne le fut qu'au prix de cette «paix des cimetières» (dont a si bien parlé l'écrivain Graham Greene), et surtout d'un développement économique exsangue et inégal fondé sur l'exploitation sans scrupules d'une main-d'oeuvre bon marché.

Aussi, n'est-ce pas étonnant que des griefs grandissants se soient accumulés contre son régime et qu'il ait été finalement renversé le 7 février 1986 par un vaste mouvement populaire ayant perçu son départ comme un immense espoir, l'occasion d'un renouveau, d'une chance à saisir, prémisses d'un retour à la démocratie et d'une seconde indépendance pour Haïti. Après plus de 29 ans de dictature, tout ne paraissait-il pas possible?

Et c'est sans doute ce qui explique l'émoi soulevé aujourd'hui. Car ce qui secoue, ce n'est pas seulement que ce dictateur - jamais jugé, n'ayant à aucune occasion rendu des comptes sur les millions de dollars qu'il a détournés à son profit - ait pu rentrer à Port-au-Prince sans être inquiété, ou que les autorités haïtiennes ou même françaises, dit-on, n'en aient été informées qu'à la toute dernière minute. Ce qui secoue, c'est aussi et surtout de réaliser soudainement, à la manière d'un véritable électrochoc, que malgré les années Aristide ou Préval et les formidables espoirs que le premier avait initialement soulevés, malgré une tutelle internationale chaque fois plus omniprésente, rien ne semble avoir définitivement avancé en Haïti en termes de justice, de démocratie et d'impunité. Au point d'avoir l'impression de voir l'histoire se répéter, douloureusement.

Après tout, Aristide ne s'était-il pas lancé, au nom de la justice et de la transparence, dans la campagne électorale de 1990, avec précisément cet objectif: «démacoutiser» Haïti et barrer la route à Lafontant, l'ex-premier ministre de Duvalier?

Vingt ans plus tard, voilà que c'est Bébé Doc qui semble pouvoir se pavaner impunément dans les rues de Port-au-Prince et prétendre vouloir «aider Haïti». Comme si, avec le temps, on n'était point parvenu à exorciser les horreurs et les drames qu'il avait incarnés. Signe des temps! Puisse l'électrochoc provoqué par son retour rassembler et redonner énergie à tous ceux qui n'ont jamais cessé de lutter pour une authentique démocratie en Haïti.