En lisant l'article de Nathalie Petrowski sur la mésaventure d'Andy Thê-Anh, je me suis retrouvé 20 ans en arrière quand j'ai dû prendre une décision capitale sur l'avenir de la griffe Michel Robichaud.  

En lisant l'article de Nathalie Petrowski sur la mésaventure d'Andy Thê-Anh, je me suis retrouvé 20 ans en arrière quand j'ai dû prendre une décision capitale sur l'avenir de la griffe Michel Robichaud.  

Ne recevant plus l'appui de manufacturiers canadiens et québécois, qui n'étaient pas intéressés à investir à long terme sur la construction solide d'une image de marque locale, j'ai continué à offrir mes services «couture» à quelques clientes fidèles. Mais après avoir créé des collections de prêt-à-porter féminin et masculin, être responsable de la création d'une douzaine de licences portant ma griffe (vêtements d'enfant, maillots de bain, lingerie, cravates, chemises, foulards, parfums, etc.), ainsi que de nombreux contrats d'uniformes, cette activité restreinte ne me satisfaisait plus. J'optai pour l'enseignement qui m'apporta une grande satisfaction pendant une dizaine d'années. À la retraite depuis quatre ans, je suis régulièrement les succès et déboires de mes successeurs.

L'autre solution qui s'offrait à moi était d'approcher le milieu financier et de chercher des hommes d'affaires capables de comprendre le milieu de la mode et prêts à investir des sommes importantes à long terme. Comme cela se produit en Europe et aux États-Unis. Mais cette tradition n'existe pas ici, car les préjugés sont coriaces quand il s'agit d'investir dans le textile et la mode. Certains m'ont offert d'acheter mon nom et mes marques de commerce. J'ai évidemment refusé. Ce que n'ont pas fait certains de mes anciens collègues et que ne font toujours pas certains créateurs actuels. Le nom et la griffe du créateur ne doivent jamais être monnayés, car la continuité peut s'avérer difficile.                

Les manufacturiers canadiens et québécois sont en grande partie responsables de la dégradation et la disparition des marques de commerce des designers d'ici. Ayant l'habitude de copier les grandes marques françaises et italiennes, ils acceptaient difficilement d'investir beaucoup d'argent à long terme pour bâtir un nom auquel ils ne croyaient pas vraiment.

Si je n'avais pas eu la sagesse de faire des ententes de licences, j'aurais eu beaucoup de problèmes financiers quand un manufacturier me laissait tomber. La plupart des manufacturiers ont d'ailleurs fermé leurs portes, car il leur était impossible d'exporter (la seule solution dans un marché si petit) des vêtements copiés ou sans aucune originalité. La seule solution aurait été de s'attacher un créateur et développer ainsi une griffe originale et exclusive. Mais leur ego et leur vue à court terme les empêchaient d'envisager sérieusement cette solution.  

Plusieurs programmes gouvernementaux ont été créés afin de venir en aide aux créateurs et manufacturiers du textile et du vêtement. Mais constamment modifiés au gré de fonctionnaires incompétents et ignorants des besoins réels du milieu de la mode, ces programmes ont, la plupart du temps, mécontenté tout le milieu et gaspillé l'argent des contribuables.   

On utilise souvent les talents de nos excellents créateurs de mode afin de glamouriser les journaux et grands événements mondains. Mais encore trop peu d'hommes et de femmes d'affaires, d'artistes, de politiciens et politiciennes croient en leurs talents. La passion du métier et de leur art difficile ne nourrissent pas ceux et celles qui veulent imposer leurs idées créatrices à une large part de la population. Le talent de créateur doit s'associer au professionnalisme d'administrateurs chevronnés et... patients. L'association à de grandes maisons de ventes au détail (Simons le fait ) est une autre solution intéressante.

Il n'est pas facile de lutter contre des empires de mode qui dépensent des millions de dollars en seule publicité. Dans un monde qui a de moins en moins de barrière, les créateurs doivent lutter à armes égales avec des géants. Quand on lit les bénéfices faramineux de certaines griffes internationales, nos créateurs de talent ont aussi droit de rêver à la diffusion de leurs idées et la création des nombreux emplois qui en résulterait.