Pour ceux qui se donnent la peine de suivre la situation en Irak, les révélations du site WikiLeaks sur les atrocités du conflit dans ce pays n'ont rien de surprenant. La guerre, particulièrement celle prétendument menée au nom des droits de l'homme, est souvent le théâtre d'un jeu vicieux où le pire est drapé dans le manteau du bien.

Pour ceux qui se donnent la peine de suivre la situation en Irak, les révélations du site WikiLeaks sur les atrocités du conflit dans ce pays n'ont rien de surprenant. La guerre, particulièrement celle prétendument menée au nom des droits de l'homme, est souvent le théâtre d'un jeu vicieux où le pire est drapé dans le manteau du bien.

L'opinion publique avait aussi été avertie de ce qui s'en venait. En 2008, dans un dossier consacré à la banalisation de la torture sous l'administration Bush et publié par The Washington Monthly, le colonel Lawrence Wilkerson, ancien chef de cabinet du secrétaire d'État américain, le général Colin Powell, écrivait ceci: «Les pires horreurs de notre guerre nous sont encore inconnues, mais nous finirons par les découvrir. Les prisons secrètes, les extraditions, les homicides, la torture, les innocents qui subissent des rafles et sont détenus en masse, tous ces événements finiront par être portés à notre connaissance. Il faut commencer aujourd'hui à reconnaître nos crimes et notre complicité.»

Wilkerson le sait, ce nécessaire devoir de mémoire et de repentir prendra du temps. WikiLeaks vient au moins d'ouvrir une brèche en révélant au monde quelque 400 000 documents sur la guerre en Irak. Ceux-ci constituent un riche dépôt d'archives sur la face cachée de ce conflit. Ce dépôt, c'est en quelque sorte, écrivait un chroniqueur du Guardian, un mémorial pour les centaines de milliers de morts et de torturés, leur Mur virtuel, l'hommage rendu à ces inconnus par quelques hommes et femmes courageux. Car il leur en faut du courage pour affronter le silence des protagonistes de cette guerre illégale et les tactiques d'intimidation visant à les faire taire.

Il y a un an, à Montréal, des centaines de Québécois sont venus applaudir George Bush qui plastronnait à propos de ses faits d'armes comme président des États-Unis. Cet été, des Québécois et des milliers d'autres en Occident ont acheté les Mémoires de Tony Blair. Jamais ces deux «leaders» n'ont parlé ou écrit à propos des crimes de leur pays en Irak. Ils sont pourtant bien réels. Tony Blair ne parle pas dans ses mémoires des tortionnaires occidentaux et irakiens s'activant à faire éclater les testicules de prisonniers irakiens.

À Washington, vendredi, la réaction du Pentagone a été déshonorante. «Les médias doivent être mis en garde. Ils ne devraient pas faciliter la fuite de documents classés (secrets) que l'organisation peu recommandable qu'est WikiLeaks» met en ligne, a déclaré un porte-parole de l'armée américaine. Il ne serait pas venu à l'esprit du porte-parole, ou plutôt de ses patrons, que l'organisation peu recommandable, pour ne pas dire criminelle, n'était pas celle qui révélait les crimes et les tortures, mais celle qui les exécutait ou les couvrait.

Le vrai scandale de WikiLeaks n'est pas dans la révélation de documents secrets. Il réside plutôt dans le fait que le public ne puisse obtenir de la part des gouvernements impliqués en Irak une partie de la vérité sur la guerre et qu'il doit, par conséquent, la trouver auprès d'organisations comme WikiLeaks.

Si WikiLeaks fait oeuvre de salubrité publique, les dirigeants du site doivent impérativement respecter une éthique de confidentialité visant à ne pas mettre en danger les militaires et leurs sources sur le terrain. Il ne faut cependant pas oublier une chose: sans la démocratie dans laquelle nous vivons en Occident, WikiLeaks n'existerait pas. Peut-on imaginer un tel site à Cuba, en Russie, en Chine ou ailleurs qui révélerait autant de documents sur le sort de milliers de dissidents ou le massacre de milliers de civils? L'homme qui se risquerait à une telle entreprise est un homme déjà mort.