Dans l'univers culturel québécois, être un «écrivain engagé» signifie nécessairement militer à gauche. L'attribution du prix Nobel de littérature 2010 à Mario Vargas Llosa provoquera donc sans doute quelques sourcillements. L'auteur péruvien est en effet un vigoureux défenseur du libéralisme politique et économique.

Dans l'univers culturel québécois, être un «écrivain engagé» signifie nécessairement militer à gauche. L'attribution du prix Nobel de littérature 2010 à Mario Vargas Llosa provoquera donc sans doute quelques sourcillements. L'auteur péruvien est en effet un vigoureux défenseur du libéralisme politique et économique.

Parmi ses oeuvres de fiction, La fête du bouc (Gallimard, 2002) a été largement citée comme exemple d'un ouvrage dénonçant les méfaits du pouvoir absolu. L'auteur y met en scène les derniers jours de la dictature de Rafael Trujillo en République dominicaine.

Moins connus, Les cahiers de don Rigoberto (Gallimard, 1998) mettent en scène un personnage explicitement libéral, voire libertarien, dont la pensée rejoint celle qui anime Vargas Llosa lui-même.

Ce Don Rigoberto, vendeur d'assurances le jour et écrivain la nuit, écrit notamment dans ses cahiers: «... tout mouvement qui prétendrait transcender (ou reléguer au second plan) le combat pour la souveraineté individuelle, en faisant passer d'abord les intérêts de l'élément collectif - classe, race, genre, nation, sexe, ethnie, Église, vice ou profession -, ressortirait à mes yeux à une conjuration pour brider encore davantage la liberté humaine déjà bien maltraitée.»

Sur le nationalisme plus spécifiquement, Vargas Llosa attribue cette tirade au même personnage: «Derrière le patriotisme et le nationalisme flamboie toujours la maligne fiction collectiviste de l'identité, barbelés ontologiques qui prétendent agglutiner en fraternité inébranlable les 'Péruviens', les 'Espagnols', les 'Français', les 'Chinois', etc. Vous et moi savons que ces catégories sont autant d'abjects mensonges qui jettent un manteau d'oubli sur des diversités et des incompatibilités multiples, prétendent abolir des siècles d'histoire et faire reculer la civilisation vers ces barbares temps antérieurs à la création de l'individualité, c'est-à-dire de la rationalité et de la liberté: trois choses inséparables, sachez-le.»

Engagement politique

Au-delà de la fiction, c'est par son action politique que Vargas Llosa a manifesté le plus clairement son engagement envers la liberté.

Préoccupé par l'avenir de son pays, il se porte candidat à l'élection présidentielle de 1990. Dans un Pérou où l'étatisme avait imprégné non seulement la gauche mais aussi le centre et la droite, l'écrivain-politicien proposait un projet de développement économique et social aux antipodes du collectivisme socialiste ou du protectionnisme conservateur. Authentiquement libéral, son programme avait pour objectif de retirer à l'État la responsabilité de la vie économique pour la confier à la société civile et au marché.

«On ne sort pas de la pauvreté en redistribuant le peu qui existe, mais en créant plus de richesse», précise l'écrivain dans ses mémoires politiques (Le Poisson dans l'eau, Gallimard, 1995). Pour lui, les économies égalitaristes «n'ont jamais tiré un pays de la pauvreté: elles l'ont toujours appauvri davantage. Et souvent elles ont rogné ou fait disparaître les libertés, du fait que l'égalitarisme exige une planification rigide qui, économique au début, s'étend ensuite à toute la vie sociale.»

Vargas Llosa n'a pas jeté la serviette après sa défaite électorale. Vingt ans plus tard, il poursuit d'une autre manière son engagement en faveur des libertés économiques et politiques, notamment au sein de l'Atlas Economic Research Foundation, un réseau international auquel est associé l'Institut économique de Montréal et d'autres think tanks canadiens.

En réaction à sa nobélisation, l'écrivain a dit espérer que cette distinction lui était attribuée pour son oeuvre littéraire et non pour ses opinions politiques. N'empêche, on se prend à rêver que l'élite culturelle qui célébrera ce prix saura aussi reconnaître dans l'oeuvre et l'action de Vargas Llosa la possibilité d'un humanisme de droite, un humanisme qu'il devrait être possible de pratiquer dans toutes les cultures et tous les pays, y compris au Québec.