Il s'est passé quelque chose de majeur dans les années 60 au Québec. On connaît la longue liste des innovations et des réalisations de la Révolution tranquille: mise sur pied d'un appareil d'État moderne, naissance du ministère de l'Éducation, nationalisation de l'électricité, création de la Caisse de dépôt et placement.

Il s'est passé quelque chose de majeur dans les années 60 au Québec. On connaît la longue liste des innovations et des réalisations de la Révolution tranquille: mise sur pied d'un appareil d'État moderne, naissance du ministère de l'Éducation, nationalisation de l'électricité, création de la Caisse de dépôt et placement.

Mais la Révolution tranquille a été plus que ses institutions et ses programmes. Ce qui était remarquable, c'était son esprit, le vent de changement, la volonté de rupture avec le passé, la soif de modernité, l'énergie, l'élan, l'audace, le désir de réinventer le monde, la conviction que tout était possible. C'était aussi une affirmation nationale qui prenait de nouvelles formes, qui s'exprimait dans le succès plutôt que dans l'aigreur de la défaite.

Ces efforts ont donné des résultats durables, par exemple le succès de notre réseau d'éducation, ou un rattrapage économique réel, quoiqu'insuffisant. Mais il y a un important décalage entre la réalité de cette Révolution tranquille et la narration que l'on en a faite.

D'une part, la Grande noirceur, dont la Révolution tranquille nous aurait libérés, était moins noire qu'on le disait. D'autre part, la révolution était moins révolutionnaire qu'on le disait. Le Québec a alors surtout fait du rattrapage pour devenir lui aussi une société moderne. Ce qui a été remarquable, ce fut surtout le caractère accéléré de ces réformes. Mais jusqu'où le fait de ne plus être retardataire constitue-t-il une prouesse? Cette révolution était également moins originale qu'on l'a cru. Le grand vent de changement qui soufflait sur le Québec dans les années 60 soufflait partout en Occident. Plusieurs des réformes que l'on associe à la Révolution tranquille sont l'application au Québec de projets conçus au Canada, comme la Régie des rentes et l'assurance maladie.

Ces remarques ne sont pas révisionnistes, elles ne visent pas à nier l'importance de la Révolution tranquille, mais à noter qu'on a très clairement assisté à la création d'un mythe. La sacralisation de la Révolution tranquille n'est pas un phénomène anodin, car c'est cela qui a largement contribué à pervertir la Révolution tranquille, à freiner son déploiement et à finalement trahir l'esprit qui avait animé les réformateurs.

On peut comprendre pourquoi la Révolution tranquille, un moment fort de notre histoire récente, qui revêtait un caractère identitaire, a pu devenir un mythe fondateur. Mais il y a un lourd prix à payer. Cela a tout d'abord eu pour effet de mettre prématurément au processus de changement. La fierté légitime et le sentiment du devoir accompli ont donné l'impression au Québec qu'il avait atteint son apogée et pouvait s'asseoir pour admirer sa création. On a cru avoir terminé le travail alors qu'en fait, il ne faisait que commencer. Dans les années qui ont suivi, on n'a pas poursuivi avec la même ardeur les efforts pour éliminer l'héritage du sous-développement, notamment l'analphabétisme, le décrochage ou nos habitudes de lecture. En économie, on s'est comportés comme une société riche sans l'être devenus, on n'a pas développé la culture entrepreneuriale qui aurait permis une véritable prospérité.

La sacralisation de la Révolution tranquille a également rendu ses réalisations intouchables: des fleurons, des acquis, et surtout, ce qu'on a appelé le modèle québécois. Les réformes, les programmes, les institutions de cette époque ont constitué, aux yeux des Québécois, un modèle unique qui définissait et incarnait le Québec. Cela a eu pour effet de figer le Québec, de rendre son évolution encore plus difficile et d'encourager l'immobilisme.

C'est ce mythe qui a tué la Révolution tranquille. Dans un grand paradoxe de notre histoire, la Révolution tranquille, en donnant naissance à un dogme, a produit un carcan qui n'était pas très différent de celui qu'elle avait voulu détruire.

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Cette cinquième de huit conférences sera prononcée aujourd'hui à 19h30 à l'Auditorium de la Grande Bibliothèque dans le cadre de la série La Révolution tranquille -50 ans d'héritages, présentée jusqu'en décembre 2010 par l'Université du Québec à Montréal et par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.