Mourir n'est jamais facile et l'entourage (proches et soignants) - en dépit des apparences - ne contredit pas le mot de Pascal: «On meurt seul.» On meurt seul parce que seul le mourant entre, de tout son être, dans le mystère de la mort. Car «il est loin d'être évident que quelqu'un parmi nous sache vraiment comment aider les mourants à maintenir leur intégrité quand ils sentent leur désintégration, quand leurs relations se désagrègent et quand nous-mêmes les connaissons trop peu et trop superficiellement pour raviver leur appartenance et leur dignité (ma traduction d'un passage d'un éditorial du bioéthicien David Roy).

Mourir n'est jamais facile et l'entourage (proches et soignants) - en dépit des apparences - ne contredit pas le mot de Pascal: «On meurt seul.» On meurt seul parce que seul le mourant entre, de tout son être, dans le mystère de la mort. Car «il est loin d'être évident que quelqu'un parmi nous sache vraiment comment aider les mourants à maintenir leur intégrité quand ils sentent leur désintégration, quand leurs relations se désagrègent et quand nous-mêmes les connaissons trop peu et trop superficiellement pour raviver leur appartenance et leur dignité (ma traduction d'un passage d'un éditorial du bioéthicien David Roy).

À la tâche des proches et des soignants s'ajoute une autre dimension, que la psychanalyste Marie-Madeleine Davy a bien cernée dans Un itinéraire. Confrontée à sa propre mort lors d'une hospitalisation, elle écrit: «J'ignorais que le vivant et le pré-mort ne peuvent communiquer; aucune frontière ne les relie. L'un et l'autre n'appartiennent pas au même temps.» D'où ma réticence face aux prétentions que toute demande d'euthanasie ne puisse avoir d'autre signification qu'un appel de détresse, qu'un appel à la compassion. Je crois qu'elle a raison et que nous, soignants, croyons trop facilement qu'écouter, c'est comprendre... et que quelques semaines d'écoute suffisent. Qu'au bout de trois millénaires, tous les grands penseurs et mystiques n'aient rien déchiffré de plus valable sur la mort m'incite à prédire qu'il en sera toujours ainsi. Nous devons accepter une part de mystère.

Mais aujourd'hui, face à la mort, comment ne pas être seul, ne pas se sentir seul, quand la dégradation physique rétrécit l'espace vital au quadrilatère du lit; quand la faiblesse impose un langage laconique; quand les facultés ralentissent et limitent le malade au sensoriel et aux sentiments. Toute la poésie décrit des sentiments, mais les sentiments s'échangent-ils?

Une coïncidence m'a fait te relire... Tu te réfères au médecin interniste Eric Cassell qui, en 1982, écrivit son célèbre article The Nature of Suffering and the Goals of Medicine. Une première et magistrale incursion au coeur même de la souffrance, mystérieuse, qui prend racine au-delà d'une certaine progression de la maladie et fabrique sa vie propre, inextricablement imbriquée dans la biographie du malade, indéchiffrable sans une connaissance intime de son histoire. Oui, en 1982, on savait très peu de choses sur la nature de cette souffrance (NDLR : le sida), difficile à soulager, qui tenait les soignants à distance. Cassell avait raison de s'affliger du sort des grands malades dont la vie s'achevait, bien tièdement accompagnés, enrobés dans leur souffrance. Grâce à lui, des progrès significatifs ont été accomplis dans l'accompagnement de cette souffrance globale, laquelle change son nom pour «indignité» quand elle devient intolérable. Nul doute, on accompagne mieux maintenant. L'indignité profonde ressentie par certains patients cède du terrain à la compassion et à la «thérapie de la dignité» introduite par le psychiatre Chochinov. Mais en faire un remède miracle serait impudent.

La souffrance qui ne peut être soulagée

Rien n'est parfait. D'où ma question née de tes propos rapportés dans L'actualité médicale en 2009: «La plupart des malades qui m'ont demandé l'euthanasie avaient une expérience de vie remplie d'une souffrance intense dans laquelle il n'y avait pas eu de main tendue.»

Comme toi, je sais d'expérience que ces mal-aimés sont les plus susceptibles de répondre positivement à la main tendue... mais pas tous. Ma question concernait ceux et celles - parmi ces patients - qui se situent en marge de «la plupart», et qui font écrire au grand théologien Paul Tillich: «Elles sont plus nombreuses qu'on pense les personnes pour qui la notion de suicide ne s'adresse pas à ceux que la vie a vaincus mais à ceux qui ont triomphé de la vie et qui sont également capables de vivre et de mourir et de choisir librement entre les deux.» Aujourd'hui, je vois que Cassell lui-même insiste sur l'impossibilité de soulager tous les grands malades qui souffrent au-delà du supportable. Dans When Suffering Patients Seek Death (texte que j'ignorais avant de t'écrire), il avait, avant moi, posé la même question: «Que doit-on faire pour les malades dont la douleur et la souffrance demeurent non soulagées et qui se situent en dehors de la plupart»?

Ailleurs dans ce même article, Cassell écrit: «La souffrance de certains mourants est non soulageable parce que ses sources sont inaccessibles, cachées au plus profond d'eux-mêmes... Croire qu'on peut soulager toute souffrance dénote une incompréhension de la souffrance et de ses sources... Les plus expérimentés en soins palliatifs le reconnaissent.» Il termine en écrivant: «Quand des mourants demandent une aide à mourir pour être délivrés de souffrance non soulagée et que leur demande est conforme aux balises, cette demande devrait être exaucée» (c'est moi qui traduis). Évidemment, tu le sais, je souscris à cette opinion.

Je serai toujours d'accord avec toi, Serge: la compassion doit être une priorité absolue, mais elle ne doit pas avoir inconditionnellement le dernier mot, surtout si elle se traduit par une «condamnation à vivre» contre tout désir du mourant. Tu t'inspires à bon droit de Cassell (bien qu'il souscrive  au besoin à l'euthanasie), mais quand la souffrance résiste à tous nos efforts, que devancer la mort est conforme aux valeurs intimes du mourant et qu'il le demande lucidement, l'euthanasie n'est pas «une démission de nos communautés humaines face à la souffrance», comme tu me l'écrivais jadis. Au contraire, comme l'a toujours prescrit la Dre Cicely Saunders, celle-là même qui a créé l'approche palliative, il s'agit d'une compassion qui accepte de rencontrer le malade sur son terrain, plutôt que de lui imposer le nôtre.

* Ce texte est tiré d'un échange de lettres entre le Dr Boisvert et son collègue Serge Daneault, qui exerce la médecine palliative à domicile à Montréal et à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Notre-Dame du CHUM. Cet échange est publié sous le titre Être ou ne plus être - Débat sur l'euthanasie, aux Éditions Voix Parallèles. Le livre sera en librairie à compter de jeudi.