Près de chez moi, il y a un foyer de groupe pour jeunes garçons de 6 à 12 ans. Depuis huit ans, je les vois jouer au hockey dans la rue, devant ma maison. Ils s'amènent, cinq ou six, avec leurs filets, leurs bâtons et leur jeune éducateur. Ils ont l'air heureux comme ça, quand je les regarde à travers la fenêtre de ma cuisine. On ne dirait pas que ce sont des enfants de la DPJ. Il y en a des petits, très petits. Six ans, sept ans.

Près de chez moi, il y a un foyer de groupe pour jeunes garçons de 6 à 12 ans. Depuis huit ans, je les vois jouer au hockey dans la rue, devant ma maison. Ils s'amènent, cinq ou six, avec leurs filets, leurs bâtons et leur jeune éducateur. Ils ont l'air heureux comme ça, quand je les regarde à travers la fenêtre de ma cuisine. On ne dirait pas que ce sont des enfants de la DPJ. Il y en a des petits, très petits. Six ans, sept ans.

Sans mère, sans père pour leur offrir de la tendresse, pour s'inquiéter d'eux. Ils ont des éducateurs. De bons éducateurs, il faut le dire. Des jeunes adultes dévoués, généreux, qui appliquent leur langage d'éducateurs, qui les éduquent et leur transmettent de bonnes valeurs selon ce qu'on leur a appris à l'université. Ils sont efficaces. Mais ils ont des horaires partagés. Ils vont et viennent. Ils sont remplacés. Ils font leur travail... Leur amour est ailleurs.

Un jour, je me suis prise d'affection pour un enfant. Il avait 8 ans. Les éducateurs le laissaient aller jouer au parc seul car ils lui faisaient confiance. Appelons-le J. Un ange tombé du ciel sans détour. Quand je jardinais devant la maison, il s'arrêtait toujours pour me parler. Il faisait cela avec toutes les personnes qui jardinaient sur la rue. Tout le monde le connaissait. Il avait une candeur et une gentillesse exceptionnelles. Il était petit, délicat. Il adorait les oiseaux. Il les connaissait très bien aussi. Il se disait ornithologue amateur et il était très fier de l'être. Ça se voyait dans ses yeux, quand il le disait. Il se rendait au parc tous les jours pour les observer. Un éducateur lui avait appris l'ornithologie. Il en avait développé une passion.

Un jour, J. m'a dit: «Je vais partir bientôt. J'ai 11 ans.» Je suis restée bouche bée. «Partir? Pour où?» Il me répond: «À 12 ans, on doit partir du foyer pour aller dans une famille d'accueil.» Il m'a dit cela avec un petit tremblement dans la voix, à peine perceptible. Il était là depuis l'âge de 6 ans. Il connaissait le quartier comme sa poche. Les voisins l'aimaient bien. Il allait à l'école de l'autre côté du parc. Il avait ses oiseaux et son parc et quand il passait avec ses armes de chevalier rembourrées, les gens lui souriaient. Il avait l'air d'un petit prince.

Il n'est plus au foyer de groupe depuis maintenant trois ans. Il doit avoir 15 ans aujourd'hui, l'âge de mon fils. Il a été hébergé dans une famille d'accueil à l'autre bout de la ville, près du Parc olympique.

J. m'avait dit qu'il avait été pris en charge parce que sa mère était partie. Son père venait le visiter de temps en temps et jouait au hockey avec lui, devant chez moi. Mais il ne le ramenait pas avec lui. Il avait réussi malgré tout à se faire de petites racines, minces, fragiles, mais des racines tout de même. Il avait aimé cet éducateur qui lui avait enseigné l'ornithologie, mais cet éducateur n'était plus là. Il avait été remplacé par d'autres, et d'autres encore. Toutes les figures signifiantes pour lui disparaissaient les unes après les autres. Et même son quartier et ses gens disparaissaient. Aujourd'hui, il est peut-être dans un centre jeunesse parce qu'il a fini par en vouloir à ses parents et à cette société qui l'a déraciné de son milieu, de ce foyer auquel il s'était attaché.

Il a à peine eu le temps, six années, pour développer ses racines, et on les a coupées. Six ans et c'est le transfert systématique. Pourquoi cette procédure? Qui décide qu'à 12 ans, on passe à autre chose, on change de clan, on sort de son milieu? Qui décide que ça suffit, que les racines sont assez fortes?

J'enrage contre ce système depuis que je sais cela. Quand J. m'avait annoncé son départ, j'avais même écrit à la direction de la DPJ pour me plaindre de ces procédures que je considérais inhumaines. Mais on m'a répondu qu'on n'y pouvait rien. Le système était ainsi fait.

J'ai toujours cherché à offrir le plus de stabilité possible à mes propres enfants car je pense que c'est la stabilité qui leur donne des forces pour voler librement et avec assurance dans la vie. À 12 ans, les racines ne sont pas assez profondes. Vraiment pas. Ne pourraient-ils pas être stabilisés jusqu'à 18 ans? Il y aurait peut-être moins de jeunes perdus dans les centres de jeunesse, ou dans la rue.

* Sa lettre fait suite à la publication du dossier sur les fugues dans les centres de jeunesse dans La Presse le vendredi 20 août.