Le gouvernement traiterait-il les soldats des Forces canadiennes sans guère plus d'égards que des citoyens de seconde classe? «Les sacrifices (des soldats canadiens en Afghanistan) semblent s'être perdus dans la complexité de la bureaucratie», s'exclamait mardi dernier l'ombudsman des vétérans, Pat Stogran, colonel et ancien commandant des Forces canadiennes en Afghanistan.

Le gouvernement traiterait-il les soldats des Forces canadiennes sans guère plus d'égards que des citoyens de seconde classe? «Les sacrifices (des soldats canadiens en Afghanistan) semblent s'être perdus dans la complexité de la bureaucratie», s'exclamait mardi dernier l'ombudsman des vétérans, Pat Stogran, colonel et ancien commandant des Forces canadiennes en Afghanistan.

La sortie publique de l'ombudsman dénonçant ce que plusieurs qualifient d'ingratitude réservée aux anciens combattants canadiens rappelle de plus en plus 100 controverses semblables qui germent aux États-Unis depuis des années. Or, l'abandon des soldats, une fois leur service terminé, ne révélerait-il pas des tendances de fond sur les inégalités sociales qui font des Canadiens provenant en majorité des régions pauvres une sorte de prolétariat du sacrifice?

De part et d'autre de la frontière, certaines ressemblances sont percutantes. Après celui d'Abu Ghraib, en 2007, un nouveau scandale soulevé par la guerre en Irak éclatait aux États-Unis. Le Washington Post dénonçait la vétusté d'un hôpital pour vétérans dans lequel des employés surchargés abandonnaient les «héros» des guerres d'Irak et d'Afghanistan dans des chambres insalubres.

Puis il y a eu les controverses sur ces 185 000 soldats remobilisés involontairement au combat après l'échéance de leurs contrats de service, pratique qui a été presque universellement dénoncée en Amérique. Plusieurs observateurs ont été choqués par son hypocrisie étant donné que les soldats américains sont des volontaires, comme au Canada.

Par ailleurs, 10 000 soldats américains ont été renvoyés en Irak ou en Afghanistan pas moins de cinq fois. Or la grande majorité des soldats américains proviennent des régions rurales économiquement défavorisées, souvent les plus durement frappées par la délocalisation des industries depuis les années 70. Déjà issus des régions laissées pour compte par l'économie mondialisée, les héros de guerre sont à nouveau abandonnés à leur retour par une population qui prétend pourtant appuyer leurs sacrifices.

Le Canada n'a pas connu les mêmes pratiques de remobilisation involontaire que son voisin du Sud, mais les profils des soldats des Forces canadiennes affichent néanmoins des ressemblances. Alors que Terre-Neuve et Labrador comptent moins de 2% de la population du Canada, un quart des soldats canadiens en Afghanistan provenaient de cette région. Près d'un candidat sur deux en 1999 provenait des rangs des sans-emploi. Il en est de même pour la propension «inouïe» des Canadiens provenant des régions économiques les plus défavorisées comme les Maritimes à se porter volontaires.

Alors qu'un débat prend enfin forme au pays à savoir si le gouvernement conservateur «laisse plutôt tomber (les anciens combattants) à leur retour» comme le suggérait le député Marc Garneau, sans faire état d'une sorte de «complot», les études ne suggèrent pas moins que les Forces canadiennes recrutent les naufragés de notre société depuis longtemps.

Le débat soulevé par l'ombudsman n'est pas le même qui consiste à trancher si le Canada devait envoyer ou non des troupes en Afghanistan. Cette nouvelle controverse nous force à nous interroger sur le sort que nous réservons à nos concitoyens à leur retour. Le traitement de nos vétérans n'est-il pas le miroir des inégalités entre les régions et les centres urbains, les pôles du développement économique et les provinces qui continuent à attendre le «miracle»?

Les Québécois et les Canadiens ont bien aimé faire la morale à leurs voisins du Sud par rapport au bourbier irakien, surtout après le refus canadien de fournir des soldats pour cette seconde guerre. Or les Américains ont maintenant le courage de laver leur linge sale sur la place publique et d'affronter les démons de la guerre en Irak, l'état de leurs forces armées et le traitement réservé à leurs soldats et anciens combattants. Les Québécois et les Canadiens oseront-ils faire de même?

* L'auteur est candidat au doctorat en politique internationale à l'Université d'Ottawa.Il a rédigé une thèse de doctorat en science politique sur la guerre en Irak et le service militaire aux États-Unis.