Marc Bellemare refuse de témoigner devant la commission Bastarache. Qui croyait que le souci de respecter son serment d'office de confidentialité expliquait les réticences de l'ex-ministre envers cette commission? Il n'a étonné personne en maintenant le cap annoncé. Ce qui étonne est la stratégie du gouvernement et des oppositions.

Marc Bellemare refuse de témoigner devant la commission Bastarache. Qui croyait que le souci de respecter son serment d'office de confidentialité expliquait les réticences de l'ex-ministre envers cette commission? Il n'a étonné personne en maintenant le cap annoncé. Ce qui étonne est la stratégie du gouvernement et des oppositions.

Quelqu'un se rendra-t-il compte que cet homme, dont les révélations jusqu'à ce jour se limitent à affirmer qu'il a été forcé de trahir son mandat de ministre de la Justice par des pressions selon lui illégales et abusives, est en voie d'ébranler une institution qui transcende les faits reprochés?

Il y a des limites à se faire mener en bateau. Ou l'objectif de Marc Bellemare était de dénoncer une politique partisane condamnable, pour le plus grand bien de notre société, et il a alors l'obligation morale de nous fournir l'information qui donne réalité à ces pratiques délictueuses et permettra de les éradiquer, ou son objectif occulte est strictement personnel et n'a rien à voir avec le salut public.

S'il a choisi la voie de la commission Bastarache, le gouvernement devait avoir la candeur de croire que Marc Bellemare voulait voir la lumière faite sur ses allégations de comportement dérogatoire par le premier ministre et d'autres intervenants sans importance. Comment peut-on croire que notre gouvernement ait cru cela un seul instant ? Si tel avait été le cas, point n'aurait été besoin de commission d'enquête. On aurait révisé les procédures, pris les moyens pour éviter les interventions dérogatoires et réglé le problème en deux temps trois mouvements, sans en faire un plat, coupant l'herbe sous le pied de l'opposition. Non, on voulait régler le cas Bellemare et démontrer sa mauvaise foi, ou désamorcer la crisette.

On est amené à croire, cyniques que nous sommes, que personne ne veut vraiment ouvrir la boîte de Pandore. Il était inscrit dans les astres que Marc Bellemare utiliserait tous les moyens légaux pour ne pas donner de crédibilité à la commission Bastarache, et témoigner devant elle C'était annoncé et connu. D'abord une requête en cassation d'assignation. Puis possibilité d'appel. Recours subsidiaire, puis requête en révision judiciaire. Appel du jugement sur la demande de révision judiciaire. Combien de mois? Combien d'années croyez-vous? Folie furieuse! Oui, mais prévisible, légale et permise. Le bon droit n'a pas sa place en ces matières et l'objectif n'est pas nécessairement d'avoir raison.

Qu'en sera-t-il de la commission Bastarache dans deux ans? Le principal intéressé n'aura pas été entendu encore. On n'aura jamais entendu quelqu'un, sous serment, confirmer les faits pour lesquels la commission a été créée. Quelqu'un se préoccupe-t-il de la perception de M. Citoyen de ce qui risque de devenir une farce? La rétention de services des avocats les plus compétents, intègres et indépendants, la réputation sans tache de l'ex-juge de la Cour suprême n'y changeront rien. Le Québec entier jugera qu'on a balayé les salissures sous le tapis. Ce sera mauvais. Très mauvais. Probablement durable, malheureusement, au-delà du gouvernement actuel, ce que l'opposition officielle ne réalise manifestement pas en se gaussant des malheurs du gouvernement libéral. Le sens aigu des institutions d'hommes politiques retraités estimables, comme Bernard Landry et Jacques Parizeau, nous manque. Ils se sont d'ailleurs faits discrets sur le sujet.

La confiance en nos institutions est déjà vacillante. Même si l'on a attaqué - avec raison - les failles, défauts et lenteurs de notre système judiciaire, on doit convenir que c'est la mise en oeuvre du processus judiciaire qui prête à critique, pas l'intégrité de ses principaux acteurs. Lorsque les juges, celui qui recommande leur nomination et l'intégrité du système sont mis en cause, c'est plus grave. Arrêtons-nous pour réaliser combien les conséquences de ces accusations, qui n'auront jamais été prouvées dans deux ans, pourraient causer de dommages à nos institutions, à nos politiques et à nos juges.

Je ne crois pas que ce soit l'objectif ultime de Marc Bellemare. Mais ce sera l'inéluctable résultat de cette saga. Difficile d'imaginer que c'est un ancien ministre de la Justice qui est à l'origine de ce gâchis.