Je suis née en 1991 dans le quartier Villeray et j'y ai vécu toute ma courte vie. J'imagine difficilement ma vie hors des frontières de ce quartier qui a vu grandir mes parents, mon frère, ma nièce, mes tantes, mes oncles et mes cousins. Si je veux continuer de vivre dans ce quartier, c'est que j'y ai construit mon identité. L'esprit communautaire est d'ailleurs un trait important de mon identité.

Je suis née en 1991 dans le quartier Villeray et j'y ai vécu toute ma courte vie. J'imagine difficilement ma vie hors des frontières de ce quartier qui a vu grandir mes parents, mon frère, ma nièce, mes tantes, mes oncles et mes cousins. Si je veux continuer de vivre dans ce quartier, c'est que j'y ai construit mon identité. L'esprit communautaire est d'ailleurs un trait important de mon identité.

Dans les rues de Villeray, j'ai joué avec des enfants de toutes les couleurs et de tous les horizons. Ma mère donnait mes jouets inutilisés et mes vêtements trop courts aux voisins, mes tantes gardaient les amis dont les parents travaillaient lors des journées pédagogiques. Mais ces gestes ne tenaient ni du bénévolat, ni de la charité. Nous participions à la vie de notre quartier, nous prenions part à une communauté.

Depuis cette époque récente, le portrait de mon quartier a un peu changé. Villeray, comme tous les voisinages jouissant de belles façades et d'escaliers en colimaçon, vit les affres de l'embourgeoisement. Le prix des maisons augmente au même rythme que diminue le partage. Les loyers sont moins accessibles aux étudiants et aux familles nouvellement arrivées au pays.

Les dernières semaines ont déçu mon sentiment identitaire. Alors que l'Agence de la santé et des services sociaux décide de convertir l'hôpital chinois désaffecté de la rue Saint-Denis en centre de soins pour Inuits, les grandes personnes se mettent à jouer un jeu d'enfant: avoir peur.

Quand j'étais petite, on jouait à avoir peur: avoir peur de la vieille voisine, du gros chien ou de l'hôpital chinois qui ne ressemble à rien d'autre dans le quartier. On encourageait la peur des amis en criant et en racontant des histoires. C'est exactement à ce jeu que se prête un notaire de Villeray, la mairesse d'arrondissement et un groupe de citoyens. Ils s'appuient sur leur méconnaissance du dossier et de la culture inuit pour s'effrayer de la venue de quelques malades en quête de soins de pointe.

En effet, la mairesse fait rimer, sans inhibitions, autochtones et «incivilité», alors que selon le notaire, à la tête du groupe, il est risqué que ces membres d'un peuple fondateur fréquentent les mêmes rues que les enfants du quartier. Il m'apparaît impossible d'argumenter sur ces propos puisque c'est un racisme simpliste qui les sous-tend. D'ailleurs, je ne crois pas avoir à expliquer en quoi un tract indiquant «Le danger est imminent. Votre quiétude, vos familles et vos enfants sont en péril» s'avère absurde, ni qu'il est ridicule de rejeter un peuple qu'on a exproprié de sa propre terre.

Ces Inuits en quête de soins ont leur place dans les rues de mon quartier, voilà ce que je trouve à répondre. Heureusement, plusieurs habitants du quartier et certains conseillers d'arrondissement se soulèvent contre ces manifestations racistes.

Mis à part ces préjugés, ce qui me déçoit, en tant que jeune citoyenne, c'est cette solidarité nouvelle s'appuyant sur la peur plutôt que sur le partage et la tolérance.

J'ai peine à croire que ce nouveau visage de mon quartier n'a rien à voir avec l'opération d'embourgeoisement qu'il a subie. Ces gens s'inquiètent de voir des étrangers arpenter leurs rues, mais ils se préoccupent aussi de la valeur de leur habitation. Ce groupe aurait sans doute préféré que l'hôpital soit converti en condominiums de luxe. Leur maison aurait pris de la valeur et quelques épiceries fines auraient remplacé de vieux dépanneurs.

Comme souvent, les intérêts économiques soutiennent les préjugés. La vie communautaire s'étiole et certains y voient une occasion de profit. Villeray est devenu, aux yeux de ce groupe d'habitants, un lotissement de pièces immobilières plutôt qu'un quartier vivant et animé. Cette peur de voir diminuer la valeur des maisons ou qu'une brèche se trace dans cette nouvelle société aisée et uniforme est une crainte de propriétaire, et non de citoyen.

Je souhaite que ces propriétaires et la mairesse redeviennent des citoyens et que ceux qui sont restés citoyens se mobilisent afin que l'on s'inquiète des conditions de vie de nos concitoyens du Nord avant du prix des maisons.