Bien sûr, pour les chantres de la marque, l'éruption du volcan islandais nous rappelle qu'il ne suffit pas de faire du bruit pour se faire (re)connaître. Un nom bien choisi est aussi souhaitable. Pas Eyjafjöll!

Bien sûr, pour les chantres de la marque, l'éruption du volcan islandais nous rappelle qu'il ne suffit pas de faire du bruit pour se faire (re)connaître. Un nom bien choisi est aussi souhaitable. Pas Eyjafjöll!

Plus important, ces voies des airs bloquées ont provoqué une crise qui nous jette avec force à la figure l'image de réalités que l'on croyait pourtant avoir bien comprises.

1) Lorsque la crise survient, que nos plans sont brusquement bousculés, la réponse de l'entreprise est essentielle. Il s'agit d'un moment critique où la confiance et la patience sont mises à rude épreuve. Ceci en étonnera peut-être plus d'un, mais, pour ma part, la gestion impeccable de la situation par Air Canada m'a très agréablement surpris. Voici une marque qui vient de faire un gros dépôt sur mon capital de sympathie à son égard. Le professionnalisme démontré en cette occasion vaut tous les Lions d'or de Cannes.

2) De retour à Roissy pour reprendre mon vol, comme sur les écrans de télévision du salon d'embarquement, je suis confronté à des images saisissantes. En quelques jours à peine, voici autour de moi une foule de personnes en voie de clochardisation. Faisant leur lessive dans les toilettes, errant de bancs inconfortables en grabats de fortune, entourée de reliefs de repas lyophilisés. Je me dis que voici quelqu'un qui est venu à Paris, en touriste, avec sa compagne. J'imagine que ce type n'a pas six mois à vivre, ayant de plus récemment perdu sa maison et son emploi. Non, il s'est bonnement payé un gentil petit séjour au pays du pain baguette. J'imagine que ce type n'est pas non plus assez pingre pour se complaire de se voir ainsi réduit à un état plus que précaire. Prendre un hôtel à Paris, se restaurer décemment, évidemment sans se consoler à grandes lampées de Dom Pérignon, mais, décemment, lui aurait coûté au plus haut 2500$. Je compte large. Je dois donc en conclure que ce couple qui vient de se payer ce gentil petit séjour n'a tout simplement pas ces 2500$ en réserve. Inquiétant!

3) Décidément, la fable d'Ésope est toujours d'actualité, la langue est bien la meilleure et la pire des choses. Et la technologie est langue. Voici qu'une des incarnations contemporaines du génie humain, ce sommet technologique que représente le Boeing 777, est réduit à l'impuissance par de bêtes cristaux de silice. Le Bixi que j'emprunte parfois fait mieux, sans parler de la semelle de mes souliers. Misérable faiblesse à laquelle nous condamne notre regrettable dépendance technologique! J'ai aussi vécu cette crise en ligne, presque en direct. Échoué parmi les odeurs sucrées d'apéritifs d'une terrasse européenne, j'ai modifié mes horaires de vol, procédé à l'enregistrement, obtenu ma carte d'accès à bord, reçu toutes les confirmations nécessaires. Puissance et facilité offertes par ce que décriait plus tôt comme notre regrettable dépendance technologique!

4) Ciel, que nous sommes ennuyeux et gâtés! Rejoignant la porte d'embarquement, je me joins à la foule des passagers. Beaucoup manifestent leur frustration. Écoutant leurs propos, j'en conclus que nous en sommes venus à considérer que traverser l'Atlantique à plus de 10 000 mètres d'altitude, à une vitesse approchant les 1000 kilomètres par heure, est la chose la plus simple au monde. Nous semblons aussi vivre comme une injustice le fait que ce monde, par ses caprices, ne se plie pas toujours à nos plans (où à ce que nous lui infligeons). Ne parlons pas de la compagnie aérienne elle-même, censée proposer une solution dans les délais les plus brefs et répondant au plus près à nos désirs un temps contrariés. Nous ajoutons à nos droits de clients, ceux indiscutables que nous octroient notre statut de désormais victimes. Pour détourner une expression de Pascal Bruckner, se posant cette question à l'égard de l'homme lui-même, le bébé est-il l'avenir du client?

5) Écrivant ceci, j'entends depuis Paris un représentant galonné d'une compagnie portant les couleurs nationales discourir doctement de sécurité aérienne et déplorer l'excès de précaution des États ou des organismes gouvernementaux, français tant qu'européens, en la matière. Il s'agit sans doute d'une méfiance indue de ma part, mais son discours, ni ne me rassure, ni ne me convainc. Son insistance à affirmer que son seul intérêt est celui de la qualité du service à rendre à ses clients, et non l'intérêt économique de la compagnie qu'il incarne à ce moment, finit de m'inquiéter. Quelques jours plus tard, nous apprendrons que l'attitude prudente des États et d'Eurocontrol était loin d'être injustifiée au plus fort de l'éruption. «We should never make the mistake of thinking that regulatio is a dirty word.» Cette assertion n'est pas de moi, elle est de Vermont Royster, alors rédacteur en chef du Wall Street Journal. J'y souscris aujourd'hui plus encore qu'hier.