Quand je suis arrivé au Québec dans les années 60, j'étais un immigrant en provenance du nord de l'Ontario. Mes parents franco-ontariens tenaient à nous élever en français et je me suis rapidement identifié au courant nationaliste ethnique.

Quand je suis arrivé au Québec dans les années 60, j'étais un immigrant en provenance du nord de l'Ontario. Mes parents franco-ontariens tenaient à nous élever en français et je me suis rapidement identifié au courant nationaliste ethnique.

Si, à l'époque, j'ignorais l'existence même de cette terminologie, j'ai vite compris que les Canadiens-français (on ne disait pas encore Québécois) du Québec se trouvaient dans une situation de colonisés. C'est l'époque où les regrettés sociologues Jacques Dofny et Marcel Rioux parlaient de classe ethnique, les Canadiens-français se retrouvant au bas de l'échelle socio-économique. J'en suis même arrivé à comprendre les motivations derrière les revendications du FLQ.

Les années 70-80 allaient tout chambarder. Le PQ prend le pouvoir, l'affirmation du fait français prend son envol avec la loi 101. La fierté nationale est à son comble, les Canadiens-français devenus Québécois prennent leur place dans leur société jusqu'à renverser les tendances séculaires et éliminant les disparités socioéconomiques entre francophones et anglophones.

C'est également une période où le visage français de Montréal s'affirme. On oublie parfois à quel point il était difficile de se faire servir en français dans le Montréal des années 60 et 70. C'est aussi la période où le Québec veut poursuivre ses propres objectifs en matière d'immigration et d'intégration. Période qui voit l'immigration devenir un enjeu important pour la construction du Québec de demain. Il en ressort un Québec plus diversifié et plus cosmopolite.

Devant cette nouvelle réalité, résultat d'un choix délibéré, le Québec opte pour le pluralisme. De nationaliste ethnique, je deviens, comme beaucoup d'autres, nationaliste civique. J'entre de plain-pied dans le courant pluraliste.

Est-ce à dire que j'ai évacué l'histoire commune du Québec et que je ne reconnais plus les repères identitaires majoritaires? Pourtant, je suis toujours souverainiste. Il aurait pu en être autrement, car je n'ai jamais considéré l'indépendance du Québec comme une fin en soi. Certes, il est vrai que les raisons à la base de mon nationalisme ethnique n'existent plus. Je constate également que le projet actuel de souveraineté n'arrive pas à convaincre la majorité des francophones du Québec, encore moins les allophones, sans parler évidemment des anglophones.

Comme démographe, je me suis à maintes reprises opposé à l'utilisation d'indicateurs linguistiques à fort contenu ethnique (la langue maternelle ou la langue d'usage à la maison) comme indicateurs de la situation de la langue française au Québec, en répétant qu'à partir du moment où le Québec énonce une politique de francisation de la sphère publique, les vieux indicateurs linguistiques à consonance ethnique n'ont plus leur place.

Combien de fois ai-je été accusé de traître à la nation! Comme s'il n'était pas possible de concilier l'approche civique et pluraliste avec le projet souverainiste. Entre parenthèses, je voudrais juste dire ceci aux critiques du nationalisme civique qui nous accusent d'évacuer l'histoire: ils n'ont pas le monopole de la rectitude historique, car le nationalisme civique a également caractérisé une partie importante de l'histoire du Québec, dont celle des Patriotes!

Le nationalisme civique constitue-t-il vraiment une impasse du point de vue de l'affirmation nationale? Je pense que non. Depuis au moins les années 90, il y a un large consensus au Québec concernant le projet collectif de construire une société francophone. Si ce projet est actuellement compromis – et je crois qu'il l'est relativement parlant – cela n'a rien à voir avec l'immigration.

Le jour où le nationalisme québécois saura s'affranchir de la «menace immigrante», il pourra commencer à élaborer un projet rassembleur. Ce projet, je l'ai dit, tourne autour de la volonté de vivre en français au Québec tout en respectant la diversité. Or, la plus grande menace au «vivre en français» ne vient pas de l'immigration ni du courant pluraliste. Il vient de l'extérieur et est lié au phénomène de la mondialisation, de ses effets sur la langue de travail et des ententes multilatérales qui en découlent.

Or – et c'est là le fondement même de mon option souverainiste – on ne peut pas s'attendre à ce que le gouvernement fédéral soit porteur de ce projet francophone sur la scène internationale. Il ne s'agit pas ici de personnaliser le débat et faire encore une fois des fédéralistes de méchants comploteurs voulant mettre le Québec à sa sauce multiculturelle, mais de prendre acte que le gouvernement fédéral a tout simplement d'autres intérêts à défendre.

Je crois qu'une majorité de Québécois de toutes origines pourra s'associer à un projet dont la finalité est l'union face à la menace externe et être convaincue que le gouvernement du Québec est le meilleur interlocuteur pour défendre une francophonie non seulement québécoise mais mondiale.

En ignorant les changements profonds de la société québécoise et surtout des politiques québécoises consensuelles depuis plus de 20 ans, le courant antipluraliste ne contribuera qu'à renvoyer le projet de souveraineté dans la marginalité.