Les événements de la Polytechnique. Déjà 20 ans. Et chaque année, toujours le même discours: les 14 victimes de la Polytechnique. Eh bien moi, ce que je souhaite cette année, et pour toutes les années à venir, c'est qu'on cesse de parler des 14 victimes de la Polytechnique. Je suis cruel, me direz-vous? Non, pas du tout. Je veux seulement qu'on fasse également mention des 14 victimes oubliées: celles qui ont survécu.

Les événements de la Polytechnique. Déjà 20 ans. Et chaque année, toujours le même discours: les 14 victimes de la Polytechnique. Eh bien moi, ce que je souhaite cette année, et pour toutes les années à venir, c'est qu'on cesse de parler des 14 victimes de la Polytechnique. Je suis cruel, me direz-vous? Non, pas du tout. Je veux seulement qu'on fasse également mention des 14 victimes oubliées: celles qui ont survécu.

Je ne tiens pas du tout à minimiser la perte de ces 14 brillantes jeunes femmes, loin de là ma pensée. Mais 14 autres victimes, dont des hommes, ont survécu à cette soirée démente. Et chaque année, ce fameux 6 décembre leur rappelle de biens mauvais souvenirs. Et eux, ils sont toujours vivants. Et ils sont toujours des victimes, même 20 ans plus tard. Et ça, les journalistes en parlent rarement, les champions de la récupération n'en parlent jamais.

Moi, j'en parle. Je suis un de ceux qui ont vécu la tragédie de près: je suis un paramédical d'Urgences-Santé. J'étais sur les lieux, ce fameux 6 décembre 1989. Rien ni personne ne pouvait nous préparer à l'horreur dont nous serions témoins cette journée-là. Mon partenaire Philippe et moi avons oeuvré à l'intérieur de l'établissement, parcourant les étages sans aucun moyen de communiquer nos constatations à nos supérieurs, plongeant dans l'inconnu: «Il y a un deuxième tireur!» criaient les policiers. On a traité, on a soigné, avec le peu de moyens dont nous disposions. Et on a bien fait notre travail, au meilleur de nos connaissances, dans cette situation exceptionnelle.

Oui, c'est vrai, on a constaté qu'il y avait des victimes, atteintes mortellement. Que malheureusement, il n'y avait plus rien à faire pour elles. Qu'il n'y avait absolument rien à comprendre, à ce moment, d'une telle abomination. Mais mon partenaire et moi, on avait un job à faire: se concentrer sur les victimes vivantes. Car elles avaient besoin de nous. Et par un concours de circonstances extraordinaire, avec l'aide d'une poignée de paramédicaux dévoués, de policiers déterminés, de médecins et d'infirmières et quantité d'autres travailleurs de la santé, toutes les victimes blessées ont été sauvées.

Mais on n'en parle jamais. Pour les familles des victimes disparues, c'est un drame épouvantable, personne ne questionne cela. Mais 14 autres victimes sont encore vivantes aujourd'hui. Et on ne sait pas comment elles en sont encore affectées. Certaines d'entre elles ont bien canalisé leurs émotions, entre autres avec la lutte pour le contrôle des armes à feu et les commémorations. Mais les autres? Et combien d'autres victimes indirectes de cette tragédie? Les parents. Les familles. Les amis. Les autres étudiants de la Polytechnique, et les enseignants. Les policiers. Les paramédicaux. Sûrement quelques centaines de victimes. Et on n'en parle jamais...

En entrevue récemment, une gentille journaliste télé me demandait de lui raconter ma version des événements, et comment ça m'avait affecté personnellement. Je l'ai probablement déçue... Par pudeur, et par respect des victimes et de leur famille, je ne peux pas décrire dans le détail des événements aussi tragiques.

Dans ma vie professionnelle, je suis sûrement mieux préparé maintenant. Quant à savoir comment la Polytechnique m'a affecté dans ma vie personnelle, je ne sais trop que répondre. Faudrait que j'en parle à un psy. Qui sait, il est possible que je sois, moi aussi, une victime...