Le 6 octobre, la ministre de la Justice du Québec, Kathleen Veil, a déposé un avant-projet de loi qui réforme le droit de l'adoption. L'avant-projet propose des modifications fondamentales aux dispositions du Code civil qui régissent l'adoption d'un enfant.

Le 6 octobre, la ministre de la Justice du Québec, Kathleen Veil, a déposé un avant-projet de loi qui réforme le droit de l'adoption. L'avant-projet propose des modifications fondamentales aux dispositions du Code civil qui régissent l'adoption d'un enfant.

Si elles sont adoptées par l'Assemblée nationale, les nouvelles règles permettront au tribunal de prononcer l'adoption d'un enfant en faveur de parents adoptants, sans pour autant rompre le lien de filiation préexistant. Le tribunal pourra avoir recours à ce mode d'adoption alternatif s'il juge nécessaire de préserver des liens d'appartenance significatifs entre l'enfant et sa famille d'origine. De tels liens sont susceptibles d'exister, notamment lorsque l'enfant est adopté à un âge avancé.

Depuis les années 20, le droit québécois ne connaît qu'une seule forme d'adoption, soit l'adoption plénière. Au terme du jugement d'adoption, l'adopté cesse d'appartenir à sa famille d'origine. Sa filiation est effacée et remplacée par la filiation adoptive. Un nouvel acte de naissance mentionnant exclusivement le nom des nouveaux parents de l'enfant est dressé par le directeur de l'État civil. L'adoption plénière consacre en quelque sorte la renaissance de l'enfant en lui forgeant une toute nouvelle identité.

Sans doute ce modèle juridique pouvait-il se justifier à l'époque des «filles-mères », les enfants étant alors confiés à l'adoption dès après leur naissance. En réalité, les enfants adoptés n'avaient jamais été en contact direct ou indirect avec leurs parents d'origine. Mais tel n'est pas le cas de la grande majorité des enfants qui font aujourd'hui l'objet d'une adoption. Âgés de plus de 2 ans, ceux-ci ont souvent vécus auprès de leurs parents d'origine.

Bien qu'ils se soient montrés incapables d'en assumer le soin et la charge, en raison de leurs limites intellectuelles, de leurs carences ou de leur négligence, ces parents représentent parfois d'importants repères identitaires pour l'enfant. Qui plus est, l'enfant peut avoir développé des liens significatifs avec les membres de sa parenté d'origine, dont ses grands-parents et ses frères et soeurs.

Or, le système actuel oppose le besoin de l'enfant de grandir auprès de parents adoptants aimants, capables de lui procurer la stabilité socioaffective qu'il requiert, et celui, tout aussi fondamental, de conserver son histoire, son passé et son identité. En attribuant au tribunal le pouvoir de prononcer une adoption sans rompre la filiation d'origine, l'avant-projet de loi cherche à concilier ces deux besoins.

Des mythes à déconstruire

L'adoption sans rupture du lien d'origine fait peur. On craint l'immixtion et l'ingérence des parents d'origine dans le quotidien de l'enfant. Il s'agit là d'une crainte non fondée. En dépit du maintien du lien de filiation préexistant, les parents d'origine ne pourront jamais s'interposer unilatéralement dans la vie de l'enfant. Seuls les parents adoptifs demeureront titulaires de l'autorité parentale.

Cela dit, si l'intérêt de l'enfant le commande, il leur sera loisible de convenir, avec les parents d'origine, d'une entente permettant la divulgation ou l'échange de renseignements ou le maintien de relations personnelles.

L'adoption sans rupture du lien d'origine fait également craindre la résurgence d'une idée passéiste qu'on croyait à jamais révolue: la prédominance des liens de sang. Les parents adoptifs redeviendraient les parents de second ordre qu'ils étaient autrefois. Ce n'est pourtant pas la philosophie derrière l'adoption sans rupture du lien d'origine. Il n'est nullement question de hiérarchiser les filiations ou de désavouer les parents adoptifs.

Il ne s'agit pas non plus de réintroduire les parents d'origine par la porte d'en arrière au nom de leur seule et unique contribution génétique. La nouvelle institution permettra simplement au tribunal d'envisager l'adoption de l'enfant dans une perspective de continuité avec le passé.

En somme, l'adoption sans rupture du lien d'origine doit être regardée non pas avec les yeux des parents adoptifs, mais avec ceux de l'enfant. Cet enfant qui, au moment de l'adoption, a déjà sa propre histoire, ses propres liens d'appartenance, sa propre identité.

Si le droit actuel autorise l'effacement de ces attributs, comme s'ils n'avaient jamais existé, l'adoption sans rupture du lien d'origine a au contraire pour mission de les préserver. Certes, le défi est imposant pour les uns et les autres, mais s'il profite à l'enfant, il vaut assurément la peine d'être relevé.