L'un des amis du sénateur Gérald-A. Beaudoin m'a raconté cette anecdote à son sujet. Lorsqu'ils étaient tous deux jeunes avocats au ministère de la Justice du Canada, il leur fallait choisir un secteur du droit dans lequel ils entendaient consacrer leur carrière. Le sénateur Beaudoin s'intéressait déjà passablement au droit constitutionnel. S'expliquant mal ce choix du sénateur Beaudoin, son collègue lui aurait dit ce qui suit : "Qu'est ce que tu vas faire en droit constitutionnel, il n'y a rien à faire là !" Et pourtant !

L'un des amis du sénateur Gérald-A. Beaudoin m'a raconté cette anecdote à son sujet. Lorsqu'ils étaient tous deux jeunes avocats au ministère de la Justice du Canada, il leur fallait choisir un secteur du droit dans lequel ils entendaient consacrer leur carrière. Le sénateur Beaudoin s'intéressait déjà passablement au droit constitutionnel. S'expliquant mal ce choix du sénateur Beaudoin, son collègue lui aurait dit ce qui suit : "Qu'est ce que tu vas faire en droit constitutionnel, il n'y a rien à faire là !" Et pourtant !

Il faut se rappeler que nous sommes dans les années 1960 ; quelques années avant que n'ait lieu la conférence de Victoria qui, d'une certaine façon, constituera le point de départ de "l'industrie constitutionnelle" au Canada.

La première fois que j'ai rencontré le sénateur Beaudoin, il a tenu à préciser que le refus du Québec de signer la Charte de Victoria constituait sans doute la plus grande erreur commise par le Québec. Néanmoins, s'il en avait été ainsi, c'est-à-dire si le Québec avait donné son accord à la Charte de Victoria, le sénateur Beaudoin ne serait peut-être pas devenu cet acteur incontournable du droit constitutionnel canadien.

Pas prometteur

Au moment où il complétait son mémoire de maîtrise à l'Université de Montréal, en 1954, le droit constitutionnel n'était qu'à ses premiers balbutiements. Ce n'était certainement pas, à la fin des années 1950, le domaine le plus prometteur pour un jeune avocat. Mais pourquoi, faut-il se demander, a-t-il opté pour le droit constitutionnel ? Sa réponse a été claire, simple et sans équivoque : la passion.

Cette passion pour le droit constitutionnel provenait, bien sûr, d'un incommensurable intérêt envers la politique, mais aussi, et surtout peut-être, de la rencontre de gens remarquables, passionnés, comme lui, de droit constitutionnel.

Au nombre desquels, il mentionne Jean Beetz, qui revenait de l'Université Oxford en Angleterre, et deviendra juge à la Cour suprême du Canada de 1974 à 1988, Bora Laskin, qui revenait de l'Université Harvard aux États-Unis, et qui deviendra juge en chef à de la Cour suprême de 1970 à 1984 et Paul Gérin-Lajoie, un expert en droit constitutionnel, qui deviendra le premier ministre de l'Éducation du Québec et un humaniste remarquable.

À cette liste s'ajoutent ses collègues du ministère de la Justice du Canada et de la chambre des communes où il a oeuvré de 1956 à 1969, dont Maurice Ollivier, un expert en droit constitutionnel, Guy Favreau, qui deviendra ministre de la Justice du Canada ; Alban Garon, qui deviendra juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt et Roger Tassé, un avocat chez Gowlings à Ottawa et ancien sous-ministre de la Justice du Canada.

En plus de sa bonhomie proverbiale, du profond respect qu'il porte aux individus, je pense que ce qui avait de plus remarquable chez le sénateur Beaudoin, c'est qu'il était un communicateur et un vulgarisateur de grand talent. Aucun doute là-dessus.

À l'écouter, on avait parfois l'impression que les conceptions juridiques les plus complexes étaient d'une simplicité déconcertante. Il savait raconter les histoires, les rendre intéressantes en les ponctuant d'anecdotes savoureuses. Mais surtout, il savait communiquer sa passion du droit constitutionnel, bien sûr, mais aussi de la politique et de la philosophie. Bref, le sénateur Beaudoin avait la passion contagieuse !

Les chartes

L'ayant côtoyé étroitement ces 10 dernières années, je conserverai certes des centaines de souvenirs et des milliers d'anecdotes concernant le sénateur Beaudoin. S'il me fallait toutefois en retenir qu'une, je choisirais celle-ci. Rendant hommage à un autre grand bâtisseur de l'Outaouais, Fulgence Charpentier dont la vie a marqué le siècle (décédé à 103 ans en 2001), on lui a demandé ce qu'il y a eu de plus important au cours de ce siècle : la découverte de la pénicilline? De la télévision? Que l'on ait marché sur la Lune ? Bref, les choix étaient nombreux. La réponse du sénateur n'était cependant pas au nombre des choix proposés...

Selon lui, ce qui a marqué le plus profondément le XXe siècle, ce sont les chartes des droits, lesquelles consacrent la liberté, l'égalité et la dignité humaine. Je pense qu'il a raison.

Gérald-A. Beaudoin est devenu l'un des acteurs incontournables du droit constitutionnel canadien. S'il y a quelque chose de précis qu'il ne connaissait pas sur le droit constitutionnel, vous pouvez être certain qu'il connaissait personnellement l'expert de cette question. Avocat, professeur de droit, doyen, auteur et sénateur, le sénateur Beaudoin a été un défricheur et un bâtisseur du droit constitutionnel au Canada. Un véritable pionnier qui a ouvert les portes à des dizaines de jeunes constitutionnalistes.

Alain-Robert Nadeau,

Professeur à la Faculté de droit,

Université d'Ottawa