Il n'y a rien comme une légende pour faire oublier la réalité. Rejetant les conseils de son médecin et de sa femme, le dernier lion de la glorieuse dynastie a fait ce qui devrait être tristement son dernier tour de piste au premier soir du congrès démocrate de Denver. Et il l'a fait "à la Kennedy". Avec un courage débridé, une détermination entêtée et une passion enflammée.

Il n'y a rien comme une légende pour faire oublier la réalité. Rejetant les conseils de son médecin et de sa femme, le dernier lion de la glorieuse dynastie a fait ce qui devrait être tristement son dernier tour de piste au premier soir du congrès démocrate de Denver. Et il l'a fait "à la Kennedy". Avec un courage débridé, une détermination entêtée et une passion enflammée.

Pendant ce moment magique, Ted Kennedy a transporté des milliers de partisans, dont plusieurs pleuraient à chaudes larmes, dans l'univers du grand rêve inachevé. Défiant le cancer qui attaque son cerveau, il est venu passer le flambeau à Barack Obama.

Émouvant.

Et puis, les deux petites filles Obama, Malia, 10 ans, et Sasha, 7 ans, ont volé la vedette. À leur mère Michelle, qui venait pourtant de livrer elle-même un discours touchant, et à leur père comparaissant par vidéo-satellite. Pour la première fois, les Américains ont pu sentir dans la voix de deux enfants l'authenticité et la simplicité de la famille Obama, l'amour qui les tient et qui les porte.

Une fin de soirée à se laisser bercer doucement dans la brise grisante de la nostalgie, de l'harmonie et de la sérénité. Bonheur d'occasion.

Car ce n'était là qu'un îlot de tranquillité relative dans une mer de plus en plus houleuse et menaçante pour un navire de campagne qui semble avoir perdu le nord, même si ses pilotes refusent obstinément de l'admettre.

Personne, nulle part, ne s'attendait à la nouvelle qui s'est abattue sur le camp Obama dimanche soir, pendant que les congressistes démocrates s'abattaient sur Denver. À la veille de son congrès de canonisation, Barack Obama se retrouvait à égalité avec son adversaire John McCain dans un sondage CNN-Opinion Research, chacun obtenant 47 % de l'appui des répondants.

Un choc

Le choc a secoué tous les experts politiques des deux partis et des médias où tout le monde s'entendait pour dire que Obama remonterait assurément dans les sondages avec la nomination de son colistier à la vice-présidence, le vénérable sénateur Joe Biden. C'est pratiquement un axiome de la politique américaine qu'un candidat augmente dans la faveur populaire après l'annonce du choix de son vice-président.

Déjà, au cours des jours précédents, Obama avait connu une modeste remontée après s'être retrouvé avec seulement un point d'avance sur McCain en début de semaine. La tendance vers le haut devait s'accentuer de jour en jour avec le tintamarre entourant le début du congrès démocrate.

Que s'est-il passé pour ainsi défier la logique universelle et l'histoire des campagnes présidentielles ?

La réponse a deux mots : Hillary Clinton. On pourrait ajouter l'arrogance des jeunes génies du camp Obama qui donnent de plus en plus de signes d'être trop brillants pour le propre bien.

Quand Hillary Clinton s'est finalement avouée vaincue, en juin dernier, après avoir épuisé tout le calendrier des primaires, elle avait obtenu le vote de plus de 18 millions de partisans démocrates. Les coups avaient volé bas de part et d'autre durant les derniers mois d'une campagne étonnamment féroce entre elle et Obama.

Avec le résultat que l'amertume était profonde dans le camp des perdants. Si profonde, en fait, que certains des partisans désaffectés de Clinton, surtout des femmes en colère de la "discrimination" dont avait souffert leur candidate, ont créé des sites Internet incitant les Américains à voter contre Obama.

La plupart des observateurs y ont vu un phénomène passager. Une crisette puérile dont les responsables rentreraient vite au bercail pour expulser les méchants républicains de la Maison-Blanche. Mais, les mois d'un été qui devait confirmer l'invincibilité démocrate face à tous les héritiers de George Bush ont plutôt démontré les failles dans l'armure de Barack Obama et l'étonnante ténacité de John McCain.

Façon cavalière

Les mécontents du camp Clinton refusaient de bouger. Assurément que plusieurs d'entre eux attendaient de voir si Obama la choisirait comme colistière avant de se brancher définitivement.

Or, ce n'est pas seulement le choix de Joe Biden qui a les a lancé en orbite. C'est la façon cavalière avec laquelle Obama et son entourage de prétentieux inconscients l'ont traitée.

L'avant-veille de l'annonce, on apprenait que Hillary Clinton n'avait même pas été considérée sérieusement pour le poste par la campagne Obama. Les choses se sont vite envenimées.

L'un des plus grandes gueules du Parti démocrate, James Carville, ex-conseiller et pitbull préféré de Bill Clinton, a saisi le micro au réseau CNN pour vertement dénoncer la plus récente "insulte" de Barack Obama envers Hillary. Selon Carville, le candidat à la présidence, qu'il prétend pourtant appuyer, n'avait même pas pris la peine de téléphoner à son ex-adversaire pour lui communiquer la nouvelle qu'elle ne serait pas choisie. D'autres ténors démocrates ont entonné la même chanson. Il s'est écoulé plusieurs heures avant qu'un porte-parole du camp Obama ne dise à CNN qu'un travailleur de campagne ("campaign staffer") avait informé un autre "staffer" de Hillary Clinton l'après-midi de la veille de l'annonce que sa patronne n'avait pas été sélectionnée. Barack Obama lui-même lui aurait parlé en soirée.

Ça sonnait terriblement faux. Parce que la nouvelle de la rebuffade était déjà connue lorsqu'on a finalement cru qu'un coup de téléphone serait peut-être une bonne chose.

Avec le résultat que, dans le sondage renversant du dimanche suivant, 27 % des ex-partisans de Hillary Clinton déclaraient leur intention de voter pour John McCain.

On compte maintenant sur les discours au congrès de Hillary Clinton et de l'ex-président Bill pour renverser la vapeur.

Peut-être. Mais là n'est pas le plus préoccupant. Ce qui devrait vraiment inquiéter les démocrates, c'est cette attitude supérieure de plus en plus évidente adoptée par Barack Obama et son entourage. Si les événements des derniers jours ne leur donnent pas une bonne dose d'humilité, ils risquent d'être trop tard le jour du réveil brutal.

mgratton@ledroit.com