Il y a de ces plats à Noël que l'on souhaite retrouver sur la table année après année. Le ragoût de boulettes et de pattes de cochon fait partie de ces classiques. S'il rime avec tradition, rien ne l'empêche de changer avec les époques. Quand deux générations cuisinent le même ragoût.

Noël des générations

Anne Desjardins et son fils Emmanuel ont travaillé ensemble pendant 12 ans dans la cuisine du restaurant L'Eau à la bouche dans les Laurentides, avant que leur chemin professionnel ne se sépare. Ils continuent toutefois de cuisiner côte à côte dans les rassemblements familiaux.

L'été dernier, lors du mariage de ses parents, c'est Emmanuel qui portait la toque à l'occasion du repas nuptial. Complices, ces deux compagnons de route ont curieusement encore beaucoup de mal à partager la même cuisine sans se piler sur les pieds.

À l'approche du temps des Fêtes, ce sympathique tandem a tout de même accepté de se réunir dans la maison ancestrale d'Anne Desjardins à Val-David et de s'installer derrière le même comptoir, elle juché sur son banc pour gagner quelques centimètres, lui tentant de prendre le moins d'espace possible dans la cuisine de sa mère conçue pour un seul chef, afin de nous préparer un ragoût de boulettes. Chacun y est toutefois allé de sa propre version. Méthode de travail, gestion du temps et de l'espace, sel, gras et quantités sont autant d'éléments qui distinguent ces deux générations de cuisiniers, parfois en confrontation, mais toujours avec le sourire.

Le gras

Le ragoût de boulettes et de pattes de cochon ne représente sans doute pas le plat par excellence des gens qui font attention à leur régime. Si la chef n'a pas hésité à se coller à la version plus traditionnelle du plat - avec la patte de cochon -, son fils a choisi une option plus «légère» en procédant à une cuisson sous vide et en mettant de côté la patte au profit d'un osso buco, une partie beaucoup moins grasse.

Anne Desjardins: «La nouvelle génération n'aime pas le gras. La patte de cochon, c'est très gras. Aujourd'hui, on fait beaucoup de substitutions. Je fais partie de la génération qui a le souvenir du goût d'un vrai ragoût de boulettes.»

Emmanuel Desjardins: «Je suis plus sensible par rapport à l'utilisation des gras. Pour la recette, j'ai utilisé de l'huile d'olive. Je n'ai pas pris de beurre. Je considère que le traitement des gras se fait au détriment des saveurs. Mais je ne veux pas que ça baigne dans le beurre.»

Anne: «Moi, j'ai gardé le gras de ma viande pour ma sauce.»

Emmanuel: «À cause de la cuisson sous vide, il y a beaucoup moins de gras.»

La technique

Ils ont beau avoir travaillé ensemble, la mère et son fils n'ont assurément pas la même façon de cuisiner. Dans le cas du ragoût, par exemple, Anne Desjardins a fait griller de la farine, une technique qui permet d'avoir le «goût du ragoût». Son fils, lui, a préféré utiliser la fécule de maïs comme liant justement parce qu'il n'aime pas le goût sucré de la farine brûlée. Lorsqu'elle prépare une sauce, la chef mélange tous ses ingrédients en même temps, alors que fiston suit une séquence logique.

Emmanuel: «On a des signatures qui sont semblables. C'est juste dans le traitement que l'on diffère.»

Anne: «Lui, il est plus habile que moi. C'est un maître du couteau. Il a fait l'école d'hôtellerie.»

Emmanuel: «Elle a beaucoup plus de passion et moi, j'ai beaucoup plus de technique.»

Anne: «Je cuisine à l'instinct. C'est comme des notes de musique.»

Emmanuel: «À l'inverse, moi, je n'ai pas ça. Je n'entends pas la musique.»

La main à la pâte

Lorsqu'est venu le temps de façonner les boulettes, Anne Desjardins a plongé rapidement les mains dans la viande crue. Son fils a hésité plus longtemps.

Emmanuel: «Il manque de chapelure dans ta patente.»

Anne: «C'est maman qui va se salir les mains, évidemment. Les jeunes, eux, sont habitués de mettre des gants.»

Emmanuel: «Sinon, tu es toujours en train de te laver les mains.»

Anne: «C'est moins salissant de cuisiner de l'osso buco [que de la patte de cochon]. C'est une partie qui est dégraissée.»

La présentation

Pendant qu'Emmanuel Desjardins mettait la touche finale à son plat en laissant tomber quelques pousses, sa mère trouvait qu'il en ajoutait un peu trop.

Emmanuel: «Des fois, Anne trouve que je m'enfarge dans les fleurs du tapis.»

Anne: «Je fais partie de ces cuisiniers qui calculent leurs gestes en cuisine. À un moment donné, les gens veulent manger.»

Le rapport à la nourriture

Anne: «Emmanuel a été élevé dans les odeurs de fond de veau.»

Emmanuel: «Je savais à quel moment on était dans la journée seulement avec les odeurs de la cuisine. Le matin, c'était les odeurs de fond de cuisson et dans l'après-midi, c'était le vinaigre des sauces et les effluves du pain chaud. Et pourtant, je ne mangeais que du yogourt, du fromage, du boeuf haché et du bacon.»

Anne: «Il a peut-être été trop dedans. Moi, ma mère ne cuisinait pas. C'est ma grand-mère qui cuisinait. Mes souvenirs culinaires sont avec ma grand-mère.»

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Emmanuel Desjardins et sa mère Anne ont travaillé ensemble pendant 12 ans dans la cuisine du restaurant L'Eau à la bouche dans les Laurentides, avant que leur chemin professionnel ne se sépare. Ils continuent toutefois de cuisiner côte à côte dans les rassemblements familiaux.