Depuis quand mange-t-on de la dinde à Noël? D'où viennent toutes ces tourtières, cipailles et autres spécialités à base de porc que prépare systématiquement belle-maman? Question de donner un peu plus de sens à nos ripailles du temps des Fêtes, nous avons fouillé ces traditions et bien d'autres encore.

D'abord, il faut savoir qu'avant la Seconde Guerre mondiale, dans la plupart des familles, Noël était une fête plutôt solennelle. Les vraies réjouissances avaient lieu au jour de l'An.

Pendant longtemps, donc, on a fait maigre le 24 décembre, jusqu'à la messe de minuit. Celle-ci était suivie d'un réveillon assez sobre où les familles mangeaient des pâtés à la viande et quelques petits accompagnements, puis allaient se coucher. Certaines familles prenaient un repas plus copieux au retour de l'église, consistant en tourtière, rôti de porc frais, patates jaunes, marinades et pâtisseries, dont les croquignoles, des beignets tressés.

La journée du 25 se déroulait également dans le calme et le repos, avec jeux de cartes et de dames, puis visite des «cavaliers» pour les filles. L'historien Michel Lambert nous apprend que beaucoup de familles québécoises mangeaient à midi un mets unique dans l'année: la tête de cochon, bouillie et rôtie pour l'occasion, que l'on déposait tout entière sur la table. Elle se dégustait presque dans le recueillement. «La tradition remonte à l'époque celtique», précise M. Lambert.

Du reste, le porc est présent au Québec depuis l'arrivée des Européens. C'est Jacques Cartier et Jean-François de La Rocque de Roberval qui ont amené les 10 premiers cochons au Québec, en 1541. On peut considérer qu'il s'agit de «la viande la plus importante de notre identité culinaire; la plus signifiante dans notre culture», écrit Michel Lambert, dans le document étoffé qu'il a préparé spécialement pour notre projet de Noël.

«Même si le porc n'a plus la connotation spirituelle que lui donnaient les Celtes, il a toujours été associé, dans l'Ouest français et au Québec, aux grandes fêtes de l'année et aux grands événements de la vie.» On faisait boucherie du porc à l'Immaculée Conception, le 8 décembre. Les femmes s'affairaient jusqu'à Noël pour préparer boudins, cretons, charcuteries, petits pâtés croches, tourtières, jambons et ragoûts qui nourriraient la famille pendant tout le temps des Fêtes, voire jusqu'au carême. Le filet était donné au curé qui, lui, le redonnait aux moins nantis ou aux autochtones. Ces derniers en faisaient un ragoût avec du lièvre et de la perdrix, recouvert de carrés de bannique. Les Innus du Lac-Saint-Jean appelaient ce plat Pabaï. Le porc n'était peut-être pas la vedette des repas du temps des Fêtes, mais il était toujours là, à côté de la dinde, de l'oie, des perdrix, des tourtes et autres volailles.

Climat oblige, les légumes frais n'étaient pas particulièrement présents sur les tables hivernales. Nos ancêtres avaient toutefois plusieurs astuces pour conserver les trésors du potager. En plus de faire de nombreuses marinades, à l'automne, on conservait des légumes dans le sel, râpés. Le chou, les rabioles, les carottes, le panais, le radis noir subissaient ce traitement. Au moment de les apprêter, les légumes étaient dessalés, puis assaisonnés avec du vinaigre, du poivre et parfois du sucre d'érable. Les Français aimaient beaucoup la salade. Ils la mangeaient en toute simplicité, avec du caillé (yogourt), de la crème ou du vinaigre. Les Anglais accompagnaient quant à eux leurs viandes de légumes bouillis avec un peu de beurre.

Délices d'ailleurs

Dans les familles plus fortunées, on avait également accès à bon nombre de denrées importées pour le temps des Fêtes. Avant 1850, les bateaux arrivaient vers la fin du mois de novembre, en provenance d'Europe et des Antilles. Ces vivres étaient achetés pour l'année et mis en réserve. «Ceux qui habitaient les villages le long du Saint-Laurent profitaient du temps des Fêtes pour aller vendre leurs animaux abattus et coupés en quartiers ou préparés en charcuteries diverses déposés dans des contenants de verre, de céramique ou même d'écorce. On les amenait dans les marchés des villes importantes comme Québec, Trois-Rivières et Montréal. On voyageait sur les rivières gelées pour aller plus vite. Puis, on rapportait de ces marchés des produits exotiques pour les Fêtes et l'hiver», raconte Michel Lambert.

Outre les denrées de base comme le sucre, la cassonade, la mélasse, le vinaigre, l'huile d'olive, les épices (clou de girofle, cannelle, muscade, gingembre, piment de Jamaïque), on achetait des fromages comme le gruyère, l'édam et le parmesan, puis des jambons anglais, des noix de Grenoble, toujours des amandes, des noix longues ou pacanes qui venaient des Grands Lacs. Et on faisait également des réserves de vin et de spiritueux. Les plus riches ajoutaient des conserves comme le ketchup de mangue, la sauce soya, les câpres et aussi des friandises comme les dragées, les bonbons anglais, le chocolat, du vrai café, du chocolat à cuire ou du cacao, du thé vert ou noir.

Après 1850, se sont ajoutés des produits américains amenés par les premiers trains jusqu'à La Prairie ou jusqu'à Lévis. On commençait à mettre des produits en conserve comme des fruits de mer qui se sont ajoutés aux menus festifs de l'hiver. Les Anglais affectionnaient les huîtres. Les premières sont arrivées par train de la Nouvelle-Angleterre, en 1852. Les provinces maritimes les envoyaient par les premiers bateaux à vapeur qui ont circulé sur le fleuve. Dès lors, on faisait des parties d'huîtres au jour de l'An avec du champagne. Dans la bière, dans la soupe, dans les pâtés gras, dans la sauce pour la dinde, les huîtres étaient omniprésentes.

Desserts

Certes, la pâtisserie française est reconnue mondialement, mais en «Nouvelle-France», on mangeait peu de desserts. «Un gâteau simple pour la semaine, du blanc-manger ou une tranche de pain avec de la mélasse en fin de repas», énumère Michel Lambert.

Aux Fêtes, c'était différent. Les desserts les plus communs: la tarte aux oeufs parfumée à la muscade, la tarte à la farlouche (mélasse) avec ou sans raisins, la tarte au suif, la tarte au sucre, la tarte au vinaigre blanc ou de cidre, les biscuits roulés et coupés avec un emporte-pièce, en plus des gâteaux de Savoie étagés garnis de confiture aux petites fraises des champs. Chez les Anglais, le plum-pudding et le gâteau aux fruits étaient incontournables.

Les Amérindiens avaient pris l'habitude de faire des tartes aux atocas sauvages, cueillis en chemin vers la forêt où ils trouvaient refuge l'hiver, puis conservés dans l'eau. «Mes parents faisaient cette tarte, au Lac-Saint-Jean, dit M. Lambert. C'était très important pour mon père, qui avait chassé avec les Amérindiens. Il ne pouvait se passer de sa tarte aux atocas.»

Le socle de notre patrimoine alimentaire s'est donc constitué à coups de rencontres et d'échanges entre les nombreuses nations qui ont peuplé le Québec. Aujourd'hui, notre cuisine est plus que jamais influencée. N'empêche, il est fascinant de creuser un peu afin de mieux connaître les racines de ce grand arbre qui se ramifie à une vitesse folle.