(Bad Mitterndorf) Pères fouettards hirsutes, fouets claquant dans la nuit enneigée : le défilé de la Saint-Nicolas n’a pas changé depuis des siècles dans le village autrichien de Bad Mitterndorf, ce qui lui vaut un prestigieux classement à l’UNESCO.

Cette coutume chrétienne frissonnante, « parmi les rares conservées dans son style » selon l’organisation onusienne, a lieu en soirée tous les 5 décembre depuis le XIXe siècle et figure depuis 2020 sur la liste du patrimoine mondial immatériel.

Saint-Nicolas, célébré dans le monde germanique depuis des siècles, est accompagné dans cette localité alpine de Styrie de dizaines de personnages cornus tout droit sortis de l’enfer.

Les « Krampus » en peau de mouton noir frappent la foule sans retenue pour la punir d’avoir péché, poussent des hurlements terrifiants et portent d’horribles masques en bois sculptés à la main.

« Le plus vieux date de 1938 », explique fièrement Alfred Speckmoser, 54 ans, l’un des organisateurs du spectacle préparé dès le mois d’octobre, nommé Nikolospiel, qui attire une foule toujours plus importante.

Démons de l’hiver

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Un fêtard habillé en ange (à gauche) regarde tandis qu’un autre est aidé pendant les préparatifs pour s’habiller en Saint-Nicolas avant de participer au défilé Nikolospiel à Bad Mitterndorf en Autriche.

Avant d’enfiler leurs costumes, les participants jouent de la musique folklorique dans une taverne et boivent du thé pour se réchauffer — agrémenté d’une bonne rasée de schnaps, l’eau-de-vie de poire distillée par les fermiers du coin.

Tous, 130 au total, sont des hommes, sans exception. La seule fois où une femme a été admise dans leurs rangs, ce fut durant la Première Guerre mondiale, pour jouer l’ange gardien, car ils n’étaient plus assez nombreux.

Réchauffé par l’alcool, l’infernal cortège se met en marche à la nuit tombée, passant d’auberge en auberge.

Les « Schabs », douze silhouettes couvertes de paille dotées d’antennes de plus de trois mètres, ouvrent la route en battant la mesure pour chasser les démons de l’hiver avec leurs grelots assourdissants.

Dans chaque bistrot, la même scène se joue. Saint-Nicolas questionne les enfants réunis autour du tison sur leurs connaissances en catéchisme et récompense les plus studieux par des confiseries, puis la mort surgit, rejointe par Lucifer et ses suppôts qui enlèvent les gamins polissons ou peu assidus pour les traîner — pour de faux — jusqu’aux enfers !

« Ceux qui n’ont jamais participé peuvent trouver cela effrayant », admet Daniela Pücher, une habitante du village qui ne manque jamais le rendez-vous. Même si la pratique s’est adoucie au fil des ans, « les plus jeunes ont peur, ils se demandent s’ils ont été assez sages pour échapper au diable ».

« Renforcer la foi »

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Des enfants et leurs parents écoutent Saint-Nicolas.

« Il y a 150 ans, c’était une manière pour l’Église catholique de faire passer son message auprès des paysans plus âgés, qui ne savaient ni lire ni écrire », décrypte Martin Rainer, 56 ans, à la tête de l’association organisatrice.

Pour Katharina Krenn, responsable du musée régional au château de Trautenfels, « les jésuites ont fortement promu » les Nikolospiele pour « renforcer la foi catholique » ou « recatholiciser des régions protestantes ».

Les textes n’ont pas bougé d’une virgule depuis qu’ils ont été transcrits en 1863 de la tradition orale.

Ils sont « dépassés aujourd’hui », souligne Herbert Neuper, 77 ans, qui vit dans une maison vieille de près de 400 ans. « Mais ils montrent comment c’était avant ».

Pas de quoi rebuter les adolescents qui, à l’heure des écrans invasifs, jouent toujours des coudes pour intégrer l’association.

« On est très fiers d’avoir conservé notre tradition dans toute son authenticité et on est certains de pouvoir la transmettre telle quelle au siècle prochain grâce à leur engouement », dit Martin Rainer.