Les partys de bureau et les repas de Noël pourront bel et bien avoir lieu cette année, mais ils risquent de se faire sous le signe de la frugalité, sans excès de champagne et de caviar, soutiennent des restaurateurs interrogés par La Presse.

« Il y a quand même eu de belles dépenses pendant les vacances cet été. À l’automne, la réalité budgétaire nous rattrape », rappelle David Dupuis, responsable du programme de premier cycle en économique à l’Université de Sherbrooke. « Là, on entend déjà que les urgences sont à pleine capacité », souligne-t-il en rappelant que l’ombre de la COVID-19 plane toujours. « Rajoutons à ça la poussée des taux d’intérêt et les risques de récession. C’est un trio parfait pour un peu de frugalité à l’approche des Fêtes. »

Après plus de deux ans d’abstinence, où les rassemblements des Fêtes étaient devenus un lointain souvenir, l’occasion pour les restaurateurs de connaître un mois de décembre plus lucratif semblait enfin à portée de main.

Or, si les réservations pour les partys de bureau ont commencé tôt cette année, voire pendant l’été, l’incertitude économique et la COVID-19 qui est encore bien présente ont refroidi les ardeurs des fêtards et pourraient avoir un impact sur les célébrations et le nombre de bouteilles de vin que commanderont les convives, s’inquiètent les restaurateurs qui ne savent pas à quoi s’attendre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Marc-André Jetté, chef propriétaire de Hoogan et Beaufort

« Après deux ans de pandémie, les gens avaient hâte au party de bureau. Mais là, je remarque depuis quelques semaines qu’ils sont un peu sur les freins au lieu de vouloir dépenser et de faire des folies », mentionne Marc-André Jetté, chef propriétaire de Hoogan et Beaufort, qui offre également un service de traiteur.

Beaucoup de clients font faire des soumissions pour le service de traiteur, puis ne redonnent pas de nouvelles.

Je vois beaucoup de gens indécis. Ils attendent avant de prendre une décision et de réserver. Ça branle dans le manche, comme on dit en bon québécois. On navigue dans le brouillard. En 2018 et en 2019, à cette période-ci de l’année, on avait déjà une bonne lecture de ce que seraient novembre et décembre.

Marc-André Jetté, chef propriétaire de Hoogan et Beaufort

« Je me trompe peut-être, mais je ne vois pas de gros boom arriver, ajoute le restaurateur. Les gens gardent les cordons de la bourse fermés ou attendent à la dernière minute. » Selon lui, certaines célébrations de collègues pourraient finalement se résumer à une boîte repas à la maison ou à de petits rassemblements plus simples, dans les locaux des bureaux ou à l’usine.

Dans Lanaudière, Matthieu Bonneau, propriétaire du bistro Le Coup monté, qui compte un établissement à L’Assomption et un autre à Repentigny, observe également le même phénomène. Son téléphone a pourtant commencé à sonner au mois d’août pour des réservations de partys de bureau. Et plusieurs soirs affichent complet… mais il reste de la place dans certaines cases horaires.

« Je remarque quand même un ralentissement. Je ne sais pas à quoi m’attendre [pour les partys de bureau]. Est-ce que les gens vont se donner ce petit plaisir-là cette année ou ils vont être raisonnables ? »

Rue Saint-Denis, Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock, estime que « ce n’est pas de bon augure » pour le temps des Fêtes. Les quelques réservations qu’il a inscrites à son « cahier » il y a quelques semaines viennent toutes d’être annulées, sans raison précise.

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Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock

Avant, les gens arrivaient et c’était presque bar open pour les partys de Noël. Là, on me demande plutôt s’il y a des spéciaux, des promotions, parce que les gens ont un budget à respecter.

Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock

« Je comprends, les consommateurs ont des choix à faire, mentionne-t-il. Ils vont faire vivre leur famille et payer leur loyer avant d’aller au restaurant. »

À l’Association Restauration Québec (ARQ), on se dit quand même confiant que les affaires soient bonnes en décembre dans les salles à manger. « On s’attend à ce que le temps des Fêtes soit relativement bon », croit Martin Vézina, vice-président, affaires publiques, de l’ARQ. D’autres restaurateurs comme La Cage-Brasserie sportive prévoient une bonne période de Noël.

Mois d’octobre difficile et appréhensions pour 2023

M. Vézina reconnaît toutefois qu’il y a eu une accalmie au cours des dernières semaines en termes de fréquentation. Bien que le mois d’octobre ne soit pas reconnu pour être le plus achalandé en restauration, le ralentissement cette année est déjà plus grand qu’en 2019, note Matthieu Bonneau. Ses réservations ont diminué de 30 % par rapport à la même période il y a trois ans.

En ce moment, la fin de semaine, il y a moins de monde qu’il y en avait avant. Il y a un petit doute dans l’air, tout le monde veut être prudent.

Matthieu Bonneau, propriétaire du bistro Le Coup monté

Du côté du Saint-Bock, les ventes ont chuté de 48 % depuis septembre.

Marc-André Jetté affirme lui aussi avoir vu le vent tourner en octobre. « En septembre, on était prêts à engager la moitié de la ville. En octobre, on a vraiment senti un changement, moins de contrats. Curieusement, on a reçu des CV comme jamais on en a eu depuis le début de l’année, alors que la machine ne roule plus à 100 %. »

Par ailleurs, la période des Fêtes risque de n’être qu’une parenthèse pour Martin Vézina. Une fois les cadeaux déballés et le sapin de Noël au chemin, il s’attend à des mois difficiles en 2023. « Les gens vont se serrer la ceinture. C’était le cas avant, mais avec l’inflation et le spectre de la récession, on sent déjà que janvier, février, des mois traditionnellement tranquilles, vont être encore moins achalandés. »

« J’ai peur à l’hiver », lance spontanément Martin Guimond.

Hausse de prix à la SAQ

À moins de deux mois de Noël, les amateurs de vin et spiritueux devront mettre davantage la main dans leurs poches lorsqu’ils feront leurs achats à la SAQ. La société d’État a annoncé lundi une hausse moyenne de 2,4 % sur le prix de 1458 produits, à partir du 6 novembre. Par contre, une baisse de 1,3 % sera appliquée sur 589 produits. « L’inflation que nous vivons depuis plusieurs mois touche la majorité des produits de consommation, et malheureusement, les vins et les spiritueux n’y échappent pas », a affirmé Catherine Dagenais, présidente et chef de la direction de la SAQ, par voie de communiqué. Ces hausses pourraient-elles refroidir les ardeurs des consommateurs, nombreux à aller faire des réserves à l’approche des Fêtes ? « Il est trop tôt pour dire si ces ajustements à la hausse auront des effets sur les ventes de la SAQ durant cette période », a répondu la porte-parole, Geneviève Cormier, dans un courriel envoyé à La Presse.

Nathaëlle Morissette, La Presse