Les amateurs de cannabis canadiens ont eu leur cadeau de Noël en octobre. Mais comment intégrer cette nouveauté dans les célébrations de Noël au bureau ou en famille ? La Presse a demandé leur avis à des spécialistes.

... dans les partys de bureau

Le cannabis va-t-il s'inviter cette année dans les partys de bureau ? Est-ce une préoccupation des employeurs ? Déjà que la consommation excessive d'alcool entraîne parfois des dérapages, le mélange avec le cannabis pourrait créer des surprises.

« Les employeurs qui n'ont pas de politique "drogue et alcool - tolérance zéro" vont se retrouver avec des employés qui risquent de se présenter en possession de cannabis, qui peuvent en faire la distribution et être sous l'influence de la drogue pendant le party de Noël. Ce qui entraîne un risque de plus lors de cette célébration », estime Marianne Plamondon, avocate associée chez Langlois et présidente de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

La bonne pratique à l'heure actuelle est d'avoir une clause « exceptionnelle » dans la politique de l'entreprise de tolérance zéro (sur l'alcool et la drogue), explique-t-elle. Cette clause s'applique pour l'alcool seulement au cours des partys de bureau. Car à partir du moment où l'événement est lié au travail, et c'est le cas des fêtes de fin d'année, l'employeur engage sa responsabilité. « L'employeur doit rappeler le contenu des politiques en matière de harcèlement, de civilité et de respect, de drogue et d'alcool. Avant le party, il devrait envoyer un message par courriel à tous les employés où il précise qu'il s'attend à une conduite appropriée, à une consommation raisonnable d'alcool et où il rappelle que le cannabis est proscrit en tout temps, même lors des célébrations de Noël », affirme l'avocate.

Paule Labelle est associée et cofondatrice de Cava Rose, une agence qui organise des événements d'entreprise, dont des partys de bureau. Ses clients sont de grandes sociétés. Elle admet que la légalisation du cannabis ajoute une inquiétude chez les employeurs. « Certains de nos clients se disent qu'ils ne peuvent pas empêcher la consommation de cannabis récréative, car c'est légal, souligne-t-elle. Ils mettent en application le même règlement que celui sur la consommation d'alcool, mais évidemment, on ne peut pas fumer sur les lieux, tout comme les cigarettes, alors ça se passera à l'extérieur. »

Retour sécuritaire

L'employeur doit aussi s'assurer que les employés retournent de manière sécuritaire à la maison en offrant, par exemple, des coupons de taxi ou des titres de transport.

« On peut nommer des responsables parmi les employés qui sont là pour s'assurer que tout se déroule bien, conformément aux politiques de l'employeur, et qui peuvent intervenir. »

- Marianne Plamondon, présidente de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

« Dans les partys de Noël que j'organise, il y a toujours, à la porte, des gens de la sécurité qu'on engage, qui surveillent et qui font passer des alcootests, mais le cannabis n'est pas détectable. On a aussi mis en place dans certains partys l'obligation de laisser les clés de voiture en arrivant, afin de vérifier avec un alcootest à la sortie si on remet les clés ou pas », explique Paule Labelle.

« Ce qu'on rappelle aux employeurs, c'est que l'on comprend que ce sont des festivités et que c'est important de se réunir et d'avoir ces moments de célébration, mais le party du temps des Fêtes demeure une extension du bureau », indique Manon Poirier, directrice générale de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

Et fumer un joint avec des collègues pour créer des liens n'est pas nécessairement une bonne idée. « C'est comme l'alcool, on perd les inhibitions, ça peut devenir un peu gênant, car on se revoit au bureau, avertit-elle. N'oublions pas que ce sont nos collègues de travail. Si on ne fait pas attention, les lendemains peuvent être difficiles. »

Socialement, les tabous sur le cannabis sont encore présents et ne sont pas près de disparaître. « C'était encore illégal de fumer il y a quelques mois et, en plus, tout le monde n'a pas le même avis sur la légalisation ou la consommation du cannabis », constate Manon Poirier. Elle rappelle qu'il s'agit d'une nouvelle réalité à laquelle il faut s'adapter. « Ça va prendre un peu de temps, ce qui est normal. »

Photo Robert Skinner, Archives La Presse

Marianne Plamondon, avocate associée chez Langlois et présidente de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

... en famille

Depuis le 17 octobre dernier, il est désormais légal de consommer du cannabis au Canada. Mais attention : de là à fumer un joint avec les grands-parents au réveillon, il y a un pas à ne pas franchir... dans toutes les familles.

« En termes de moeurs, ça restera encore pour bien des gens un interdit, puisque c'était illégal, croit Julie Faucher, qui enseigne notamment les notions d'étiquette à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ). Avec le temps, ce qui peut être considéré comme excentrique ou original sera peut-être banalisé, mais je ne crois pas que cela prenne juste quelques années avant que ce soit intégré et considéré comme normal ou banal. »

Consommer ou pas ?

Au coeur de l'étiquette, on trouve la recherche de l'harmonie. Alors, comment intégrer ou pas le cannabis pendant les réunions familiales ? Il faut s'ajuster au contexte familial. « Au même titre qu'on ne fera pas exprès de parler de politique ou d'éléments qui sont litigieux si on sait que ce sont des éléments irritants pour certaines personnes, il vaut mieux s'abstenir. C'est la règle d'or. »

En fait, dans le cas où un membre de la famille n'est pas à l'aise, la modération, voire l'abstinence, a bien meilleur goût. « Le faire en famille alors que tout le monde n'est pas sur la même longueur d'onde, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Sur le plan de l'étiquette, c'est sûr que c'est une grosse faille », affirme sans hésiter Julie Faucher.

Pour certaines personnes, cela peut toutefois être gênant de ne pas pouvoir consommer avant.

« Ça les aide à gérer leur anxiété et ça agit comme lubrifiant de relations sociales. C'est peut-être bien pour eux de fumer avant », avance Lizzie Post, de l'Institut Emily Post sur l'étiquette. Mais encore là, ça dépend des règles de la maison. C'est à l'hôte de décider s'il accepte ou pas la consommation de cannabis chez lui et sous quelle forme. Quant au consommateur, il se doit de respecter les règles de la maison dans laquelle il est invité.

Si c'est permis, on peut s'inspirer des règles d'étiquette qui entourent le tabac et l'alcool. « On ne fume pas à table, comme on souhaite que cela soit le cas avec la cigarette, et, comme pour l'alcool, on encourage la modération », explique Julie Faucher.

Lizzie Post ouvre une porte à ceux qui tiennent à consommer dans une maison où ce n'est pas encouragé, ou interdit. « Il existe plusieurs façons de consommer sans que personne s'en rende compte... » Il n'empêche : être totalement stoned dans le canapé ne fera pas meilleure impression que d'y cuver son alcool.

Offrir du cannabis ?

L'idée derrière l'étiquette, c'est de faire en sorte que notre environnement soit le plus harmonieux possible. Donc, si on n'en a jamais parlé, il vaut mieux éviter ce genre de cadeaux en famille, croit Julie Faucher. « Si cela n'a jamais fait partie des discussions, ce n'est pas une bonne idée de prendre une initiative de cet ordre », prévient la spécialiste de l'ITHQ.

« Si vous envisagez d'offrir un cadeau lié au cannabis, il est préférable de valider auprès de la personne à qui vous songez à l'offrir qu'elle est à l'aise de recevoir un tel cadeau. »

- Lizzie Post, de l'Institut Emily Post sur l'étiquette

Aussi bien enlever l'aspect surprise, histoire de limiter les mauvaises surprises.

C'est un peu comme les jouets sexuels, croit Lizzie Post. « C'est un produit pour adultes, destiné à des adultes et que les adultes veulent parfois garder discret. » Donc pas forcément quelque chose qu'on veut déballer, sans le savoir, devant la belle-famille...

En manger ?

Et le cannabis dans le repas du réveillon ? « Il faut absolument le dire, sinon c'est malhonnête. Tout le monde ne gère pas ça de la même façon. Si on est entre amis consentants et qu'on l'annonce, ça peut être considéré comme rigolo. Mais il y a toujours un facteur de risque, car l'aspect dosage est difficile. On ne s'improvise pas cuisinier avec du cannabis ou de l'huile de chanvre », prévient Julie Faucher, qui enseigne aussi la science des aliments à l'ITHQ.

Il ne faut pas oublier qu'il peut y avoir des contre-indications avec des médicaments. Il est donc primordial de l'annoncer.

Lizzie Post abonde dans le même sens. « Si vous apportez un plat contenant du cannabis, il faut le dire et donner le plus d'information possible. Il est primordial de l'identifier clairement, de le mettre à part des autres mets et de s'assurer que le plat soit hors de portée des enfants et des animaux ! »

Les deux expertes s'entendent. Même si le pot semble banalisé, car légalisé, au cours des fêtes de famille, l'objectif en matière d'étiquette est de faire en sorte que chacun présent ait des comportements qui rendent les choses plus agréables. Si le cannabis devient un trouble-fête, autant s'en passer.

PHOTO FOURNIE PAR L’ITHQ

Julie Faucher enseigne notamment les notions d'étiquette à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec.