«Vous devriez venir m'interviewer, monsieur le journaliste. Je chante, je joue de la harpe et je fabrique des petits anges en rigatoni.»

En d'autres temps, on y aurait pensé à deux fois. Marguerite Bilodeau, 77 ans, n'est ni une vedette de la télé ni une star du grand écran ni une chanteuse populaire. Pure marginale, elle se produit surtout dans les églises et les résidences pour personnes âgées.

Mais la dame possède une force de persuasion peu commune. Si bien qu'après cinq minutes au téléphone, elle a fini par nous convaincre d'aller la rencontrer.

Pas de regret. Alors que Noël se pointe le bout du nez, avec d'inévitables crises de solitude pour certains, il fait bon voir que certains «aînés» ont encore la pêche.

Dans l'appartement du quartier Côte-des-Neiges qu'elle partage avec son chat, ses instruments et ses anges en papier, l'infirmière à la retraite décline son CV avec une fierté palpable. Elle n'est peut-être pas Marie-Mai, mais elle a déjà publié trois romans, fait deux expositions de peinture et gravé une demi-douzaine de CD - qu'elle a pratiquement tous écoulés à la mitaine à force de patience et d'autopromotion.

Une «mémé fâchée»

Dix fois grand-mère et une fois arrière-grand-mère, Marguerite est aussi membre en règle des fameuses Raging Grannies, ce groupe de vieilles dames excentriques qui milite pour la paix et l'environnement depuis bientôt 25 ans. Cette activité lui a valu de participer à des dizaines de manifestations, d'apparaître dans le documentaire Granny Power du regretté Magnus Isacsson et de poser avec ses copines dans le calendrier 2013 des «mémés fâchées», dans des mises en scène pour le moins improbables.

Un peu fofolle, la mamie? Absolument. Mais toutes ces «folies» n'ont qu'un but, dit-elle, et c'est de passer son message.

Message d'amour et de paix, d'abord, mais aussi d'espoir et de combat pour ceux et celles de son âge qui ont peut-être baissé les bras ou qui se sentent mis à l'écart de notre monde en accéléré.

«Je veux montrer qu'à 77 ans, on peut encore faire plein de choses, qu'on peut croire dans ce qu'on fait, lance la dame. Ce n'est pas parce qu'on est âgé qu'on ne peut pas être utile à la société. Regarde. Je fais de l'arthrite. Mais je me soigne à la cortisone. Il faut que je puisse jouer tous les jours.»

Marguerite Bilodeau ne cache pas qu'elle aurait bien aimé être plus populaire. Elle a déjà eu des «ambitions commerciales» et même flirté avec le succès.

Son roman Avec le temps s'est vendu à 3500 exemplaires en 1980 («un best-seller!», claironne-t-elle) et sa «gigue de l'infirmière» s'est retrouvée sur une compilation psychotronique (Les grands classiques) de MC Gilles.

Mais hormis ces rares percées, sa réussite est demeurée discrète. «C'est difficile de faire sa marque dans les arts au Québec, déplore-t-elle, un brin résignée. Quand tu es une femme et en plus, tu es âgée, ça ne laisse plus grand chance. De toute façon, je ne suis pas un produit. Je suis une artiste et une militante pour la paix...»

Des anges en rigatoni

Une ombre passe, puis le sourire revient. Marguerite se lève et nous amène dans la cuisine pour nous montrer sa nouvelle création: 200 anges «bio-écolos» faits à partir de rigatoni et de nouilles en papillons. Elle les a peints elle-même à la main. Et a utilisé des graines de sésame pour faire leurs cheveux. Du grand art.

La veille du jour de l'An et le matin du 1er janvier, ils seront vendus à l'église protestante Notre-Dame-des-Neiges. L'argent récolté est destiné à des élèves de 6e année, pour une journée d'immersion dans un camp d'été musical l'été prochain.

D'ici là, la mémé pacifiste se produira dans quelques résidences pour aînés, ainsi qu'au Square Angus pour l'accueil Bonneau, le 1er janvier. Elle doit aussi donner un concert de harpe le soir du 24 décembre à l'église Trinity Anglican Church (5220, rue Sherbrooke Ouest).

Avis à ceux qui voudraient «louer» une super mamie pour leur party de Noël: elle n'a rien à l'agenda pour le 25. Marguerite sera sûrement contente de vous passer son message.