Il y aura 2009 ans, le 25 décembre, Marie et Joseph étaient à Bethléem, la ville d'origine de Joseph, pour s'inscrire au recensement. Il y avait tant de gens dans cette petite ville de Palestine que le couple ne put trouver de place où dormir que dans une étable. C'est là, près du boeuf et de l'âne, que Marie mit au monde son fils, Jésus, qu'elle coucha dans la mangeoire. Des anges ont annoncé la bonne nouvelle aux bergers. Dans le ciel, une étoile a guidé trois rois mages vers la crèche.

Vrai tout cela? Rien ne prouve que la naissance de Jésus s'est déroulée comme dans ce récit transmis de génération en génération. En fait, tout semble plutôt démontrer que ça ne s'est pas du tout passé ainsi.

Les historiens s'entendent généralement pour affirmer que Jésus a réellement existé. «À peu près plus personne ne met son existence en doute. On a plus de documents qui attestent l'existence de Jésus que celle de bien d'autres personnages de l'époque», dit l'historien Pierre Létourneau, de la faculté de théologie de l'Université de Montréal, qui a accepté de faire le point avec La Presse sur l'état des connaissances historiques sur Jésus.

Jésus a donc existé. Était-il vraiment doté de pouvoirs divins? Était-il «le Sauveur»? Est-il vraiment ressuscité? Qu'en est-il de sa naissance et de son enfance? Les historiens ne peuvent guère se fier au Nouveau Testament. Les Évangiles de Luc et de Matthieu, qui relatent les origines de Jésus, ont été écrits près d'un siècle après sa naissance. Les circonstances de la naissance de Jésus ont donc été racontées sans le témoignage des principaux intéressés.

Jésus, fils unique?

Les historiens, s'ils ne peuvent se prononcer sur la virginité de Marie, ne mettent pas en doute son identité ni celle de son mari, Joseph. «Ces noms étaient courants en Palestine, à l'époque», dit Pierre Létourneau.

Jésus était-il fils unique? Probablement pas. Les Évangiles parlent de sa famille. Au cours des dernières années, les historiens chrétiens ont reconnu que Jésus avait des frères et soeurs.

En fait, la grande question est de savoir si Jésus était ou non l'aîné : la crédibilité de la Vierge Marie en dépend. «Selon les interprétations, les autres enfants auraient pu être ceux que Joseph a eus d'une première union, ou des enfants que Marie a eus après Jésus», dit M. Létourneau. Ou encore, il s'agissait peut-être de cousins élevés ensemble.

Sa date de naissance n'est pas connue avec précision. Chose certaine, ce n'était pas le 25 décembre. À cette date, les Romains soulignaient déjà la naissance du dieu Mithra, divinité de la lumière. Était-ce pour remplacer ce culte païen que les premiers chrétiens y ont associé la naissance du Christ? Ou ont-ils choisi symboliquement le solstice d'hiver, époque la plus sombre de l'année juste avant que les jours ne commencent à allonger, pour y associer l'image du Sauveur et du retour de la lumière?

De son côté, lors d'une audience de Benoît XVI hier, le Saint-Père a déclaré que le premier à avoir affirmé que Jésus était né un 25 décembre était Hippolyte de Rome, aux environs de 204.

Jésus né à Nazareth, pas à Bethléem

Le lieu même de la naissance de Jésus est aussi remis en question. Il est reconnu que Jésus a grandi à Nazareth, en Galilée. Mais les Évangiles de Luc et Matthieu situent sa naissance à Bethléem, en Judée, à 150 km de Nazareth.

Luc explique la présence de Marie et Joseph à Bethléem par un recensement ordonné par le gouverneur Quirinius, qui obligeait les habitants à s'inscrire dans leur ville d'origine.

«Il y a bien un recensement dans les archives romaines, dit Pierre Létourneau. Le problème, c'est que les dates ne concordent pas. Le recensement sous Quirinius a eu lieu en l'an 6. Or, on sait selon d'autres données, dont on n'a pas de raison de douter, que Jésus est né sous le règne d'Hérode le Grand, mort en l'an -4.» Jésus est donc né avant Jésus-Christ? L'erreur de calcul est attribuée au moine Denys le Petit, qui a concocté le calendrier chrétien 500 ans après la mort du Christ.

Quant au fameux recensement, il s'agissait d'une opération locale limitée à la province de Judée - Nazareth en aurait été exclu - et ne concernait que les hommes. Pourquoi Marie, à la veille d'accoucher, aurait-elle fait plus d'une centaine de kilomètres à dos d'âne pour se rendre dans la ville d'origine de son mari, qui n'habitait même pas cette province? De plus, note Pierre Létourneau, «on n'a aucune trace historique selon laquelle il fallait se rendre dans sa ville d'origine pour le recensement». Une telle opération aurait d'ailleurs viré au cauchemar pour l'administration romaine. «Ça ne tient pas debout» ajoute M. Létourneau.

Jésus n'est donc fort probablement pas né à Bethléem, mais à Nazareth, la ville de son enfance. Une constatation que partage notamment l'historien et prêtre catholique John P. Meier dans son ouvrage Un certain juif, Jésus, paru en 2004.

Alors pourquoi Bethléem? «Probablement pour faire se réaliser la prophétie de Michée», dit Pierre Létourneau.

Selon le prophète Michée, cité dans l'Ancien Testament, le Messie naîtra dans la ville du roi juif David, soit Bethléem. D'où l'importance d'y faire naître Jésus.

«Les récits de l'enfance de Jésus veulent d'abord démontrer qu'il est dans la lignée de David pour prouver qu'il pouvait être un prétendant messianique, rappelle Pierre Létourneau. On veut aussi prouver, par sa naissance miraculeuse - la Vierge, l'étoile et les anges -, qu'il est fils de Dieu.»

Si le récit relève de la fable, c'est tout un pan de l'imaginaire chrétien qui s'effondre. Qu'est-ce que Noël, alors? «Pour moi, personnellement, Jésus est né comme tous les autres êtres humains, dit Pierre Létourneau. Ça ne veut pas dire qu'il n'est pas devenu un personnage important de la religion juive, puis chrétienne. Mais entourer sa naissance d'une aura miraculeuse, ça appartient à la foi. Pas à l'Histoire.»

Source additionnelle : Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, Jacques Giri, Éditions Karthala, 2007.