Dans les rues de la commune italienne de Portici, au sud-est de Naples, la police ne badine pas avec les décorations de Noël. Le commerçant qui ose les exposer dans sa vitrine a intérêt à avoir reçu l'autorisation de la mairie, sinon... La police va faire fermer son magasin!

Non, le maire Vincenzo Cuomo n'est pas une réincarnation italienne du Grincheux qui voulait gâcher Noël. Car ce n'est pas tant au Noël de ses concitoyens qu'il s'attaque qu'au Noël de la Camorra, la mafia napolitaine qui sévit dans sa ville.

Au bout du fil, le porte-parole du maire, Carlo Tarallo, joint hier matin par La Presse, se veut rassurant. Bien sûr que sa ville est décorée pour Noël! Seulement, les décorations ont été inspectées par la police pour s'assurer qu'elles avaient été achetées légalement. Car dans la région de Naples, la mafia ne gère pas seulement le ramassage des ordures: elle contrôle aussi le marché de la guirlande de sapin, du poinsettia et des pères Noël gonflables.

«Dans notre région, explique M. Tarallo, des gens de la mafia vont voir les commerçants et leur demandent de l'argent en échange de décorations de Noël.» C'est la pizzo di Natale, la taxe de Noël, que la Camorra perçoit en vendant à fort prix des décorations de Noël aux commerçants. «Ainsi, une babiole de 5 euros est vendue 50 euros au commerçant», dit M. Tarallo.

C'est pour mettre fin à cette extorsion saisonnière que le maire Cuomo a imposé, voilà trois ans, l'obligation pour les commerçants de prouver à la police que leurs décorations ont été achetées à juste prix par des fournisseurs fiables. À défaut de faire cette démonstration, les commerçants s'exposent à une amende, ou même à la fermeture de leur établissement.

Des décorations de Noël légales peuvent donc être achetées directement à l'hôtel de ville ou dans certaines associations de commerçants.

Basta l'extorsion

Portici, petite ville de 60 000 personnes massée au pied du mont Vésuve, les pieds dans la baie de Naples, vit avec la Camorra depuis le XVIIIe siècle.

«C'est un problème qui est présent dans toute la région de Naples, dit M. Tarallo. Les groupes criminels sont particulièrement puissants ici. Les commerçants ne sont pas heureux de devoir leur verser de l'argent, et ils sont contents de cette réglementation parce qu'ils peuvent dire à ces personnes qu'ils ne peuvent les acheter.»

Résultat: après trois ans, les décorations de Noël illégales «ont disparu», dit Carlo Tarallo. «Chaque maire essaie de faire quelque chose pour contrer la Camorra. Il y a plusieurs façons de le faire, mais pour l'instant, Portici est la seule à avoir un règlement sur les décorations de Noël.»

Mais si la lutte contre la Camorra plaît aux électeurs de Portici - le maire Cuomo a été réélu l'été dernier pour un second mandat -, elle a aussi un prix. Vincenzo Cuomo a déjà reçu des enveloppes anonymes dans lesquelles se trouvaient des balles de fusil. «Ses collaborateurs ont aussi reçu des menaces», dit M. Tarallo, qui a lui aussi reçu une balle de fusil par la poste.

«La chose la plus importante quand on affronte la Camorra, c'est de ne pas avoir peur. Il faut combattre la peur. Si je suis un commerçant qui veut combattre la Camorra et que je suis seul, c'est difficile. Mais si 10, 100 ou 1000 commerçants font la même chose, c'est plus facile.»

La lutte contre l'extorsion ne s'arrête pas à la pizzo di Natale. La mairie de Portici a aussi ouvert un bureau antiracket qui aide les commerçants qui ne veulent pas payer de taxe de protection à la mafia. Ceux qui refusent de payer la pizzo mensuelle s'exposent à voir leur commerce vandalisé ou incendié.

Et grâce à une gestion serrée de ses déchets, Portici n'a pas les gros ennuis de Naples quant au ramassage des ordures contrôlé par la Camorra. «Portici est la seule grande ville qui n'a pas ce problème, dit M. Tarallo. Nos rues sont propres!»

Portici est donc décorée pour Noël avec des décorations «légales», un qualificatif qui fait sourire. «On rit, mais c'est un gros problème ici. La Camorra a des milliers de façons de faire des affaires. L'extorsion est l'une de ses principales. Quand on s'attaque à l'extorsion, on touche la Camorra au coeur. Les Anglais disent: Follow the money. C'est ce que nous faisons.»