Artificiel ou naturel? Made in China ou cultivé au Québec? Bon pour six ans ou jetable dès janvier? Le débat fait rage depuis des années quand vient le temps de couronner le sapin de Noël le plus écologique. Une firme de consultants a décidé d'appliquer la méthode scientifique aux deux rivaux, de l'usine ou de la pépinière jusqu'au dépotoir. Conclusion: le sapin naturel est plus vert. À moins de garder son sapin artificiel pendant 20 ans...

C'est enfin établi de façon scientifique: le sapin de Noël naturel est plus écologique que son cousin artificiel. Sa production, son transport et sa destruction émettent moins de gaz à effet de serre et gaspillent moins de ressources naturelles.

Le sapin artificiel, par contre, a aussi quelques vertus. Il a moins d'effets néfastes pour la santé humaine et endommage peu les écosystèmes. Mais pour égaler son rival naturel quant à son effet sur les changements climatiques, il faudrait le conserver pendant... 20 ans. Tout un défi.

C'est par une étude tout ce qu'il y a de sérieux que de jeunes consultants de la firme Ellipsos, spécialisée en développement durable, ont décidé de trancher ce débat, qui fait rage depuis des années. La recherche a été entièrement financée par Ellipsos afin d'éviter les accusations de partialité. La méthode retenue, appelée Life Cycle Assessment (Examen du cycle de vie), répond aux normes ISO reconnues et a été révisée par des analystes indépendants.

«C'était un défi, on nous avait souvent posé cette question et on finissait toujours par conclure qu'il fallait une étude plus complète pour répondre, précise un des auteurs de l'étude, Jean-Sébastien Trudel. J'ai été très surpris, je m'attendais à ce que le sapin artificiel soit plus intéressant que ça.»

L'étude de 70 pages, dont La Presse a obtenu les grandes lignes, sera publiée officiellement la semaine prochaine. Les consultants d'Ellipsos ont pris deux cas typiques de sapins qui ornent les salons des Montréalais chaque année. Dans le coin gauche, le sapin naturel, qu'on laisse pousser pendant 15 ans dans une plantation à 150 km au sud de la métropole, et que le client va chercher chaque année dans un magasin à moins de 5 km de chez lui. Il s'en débarrasse en janvier en le laissant au bord de la rue, où la Ville le récupère.

Dans le coin droit, le sapin artificiel de qualité supérieure fabriqué dans une usine de la région de Pékin, en Chine. Il arrive à Montréal, en transitant par Vancouver, dans un magasin près de chez vous. Sa durée de vie, en moyenne, est de six ans.

De l'ozone aux ressources

La récolte de données, on s'en doute, a été un casse-tête. «Ça a été assez compliqué, convient M. Trudel. Des producteurs de sapins naturels, il y en a dans notre cour, au Québec. Ça allait. Mais les producteurs de sapins artificiels sont presque tous en Chine. On en a joint une cinquantaine au total et ils ne comprenaient pas très bien ce qu'on voulait. Ils pensaient qu'on voulait acheter, alors ils nous donnaient les réponses qu'ils croyaient que nous voulions entendre. Et les données n'étaient pas très fiables.»

On a finalement obtenu une étude du Centre interuniversitaire de recherche, qui s'était intéressé à cette industrie en Chine, ainsi que la collaboration confidentielle de l'un des rares fabricants établis aux États-Unis.

On a ainsi pu calculer dans les moindres détails tous les impacts de ces deux cycles de vie, de la consommation de carburant du paquebot jusqu'à celle de la voiture du client. On a tenu compte de l'utilisation des sols pour faire pousser les sapins, de la pollution engendrée par l'usine chinoise, de l'extraction du pétrole nécessaire pour fabriquer les aiguilles artificielles. On a évidemment divisé les statistiques de l'arbre artificiel par six, pour pouvoir les comparer aux arbres naturels jetés chaque année.

Enfin, on a établi quatre types d'impacts en fonction desquels on a attribué une note à chaque arbre. La santé humaine (problèmes respiratoires et amincissement de la couche d'ozone, par exemple), les effets sur les écosystèmes, les changements climatiques et l'épuisement des ressources ont ainsi été évalués.

Le sapin naturel est supérieur à l'artificiel dans deux catégories : les changements climatiques et l'utilisation des ressources naturelles. Il a légèrement plus d'effets négatifs sur la santé humaine et est nettement plus dommageable pour les écosystèmes où on le cultive.

L'artificiel pendant 20 ans

Contexte planétaire oblige, l'étude a mis l'accent sur les changements climatiques. Conclusion : le sapin naturel bat l'artificiel haut la main. De la pépinière au salon du client, il génère 3,1 kg de CO2, tandis que l'arbre artificiel en produit 8 kg. Pour que le sapin artificiel soit compétitif, il faudrait qu'il ait une durée de vie de 20 ans. «Ce n'est pas impossible, certaines personnes le font, mais la moyenne est loin de ça. Les arbres artificiels perdent eux aussi leurs aiguilles après quelques années», précise Jean-Sébastien Trudel.

Avec humour, les auteurs de l'étude tiennent tout de même à relativiser la pollution engendrée par ces deux types de sapins. « Les impacts sur l'environnement sont négligeables comparés à ceux d'autres activités, comme l'utilisation de la voiture », note-t-on dans le rapport. Acquérir un arbre de Noël naturel, «c'est l'équivalent d'une balade de 21 km dans une voiture standard, comme une Toyota Corolla», dit M. Trudel. Le sapin artificiel, lui, équivaudrait à rouler 53 km avec cette voiture.

À l'inverse, il suffirait de se priver de sa voiture une seule journée par année, en prenant son vélo, par exemple, pour annuler l'effet polluant du sapin naturel. Il faudrait le faire pendant trois jours pour compenser celui de l'arbre artificiel. Une bonne façon de se remettre des excès des Fêtes!

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La cas du sauvageon

Une certaine vision romantique entoure le sauvageon, ce sapin que l'on va soi-même choisir et scier dans une forêt. Certains assurent qu'il s'agit de la solution la plus écologique puisqu'on cueille avec le minimum de dommages un arbre qui a poussé de façon naturelle. Erreur, surtout quand on habite à Montréal, ont établi les auteurs de l'étude. Le fait de prendre sa voiture et de rouler quelques dizaines de kilomètres produit plus de GES que si on achète un sapin artificiel importé de Chine. «C'est moins dommageable si on habite tout près de l'endroit où l'arbre a poussé, ou si on coupe son arbre en se rendant au chalet, par exemple», dit Jean-Sébastien Trudel. Pour les besoins de l'étude, Ellipsos a pris le cas type d'un Montréalais qui habite à moins de 5km d'un vendeur de sapins et qui conduit une voiture standard. À moins de se rendre en forêt en autobus, à pied ou à vélo, ce Montréalais ne sera pas plus écolo s'il se rabat sur un sauvageon. 

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L'arbre de Noël en chiffres

> 1,3 million d'arbres coupés au Québec, dont 70% sont exportés à l'extérieur du Canada.

> Revenus de 23 à 30 millions en 2007 au Québec.

> 8000 hectares cultivés, dont 5200 en Estrie.

> 243 fermes enregistrées au Québec en 2007 (14% du total au Canada)

> Principaux types de sapins naturels: le sapin baumier, le sapin Fraser. Les autres types de conifères ne sont pratiquement pas cultivés au Québec.

> Prix moyen au cultivateur: 20$ par arbre vendu au Québec, 17$ pour l'exportation.

> Le marché du sapin naturel connaît une forte baisse depuis 2002, de l'ordre de 60%, essentiellement à cause de la concurrence du sapin artificiel.

> 68% des Québécois affirment avoir installé un sapin de Noël en décembre 2007 (contre 78% en 1996).

> Près des trois quarts (72%) de ceux qui ont installé un sapin ont choisi un arbre artificiel. Ils étaient 63% en 1996.

> Vente des arbres de Noël artificiels importés au Canada en 2007: 44,1 millions de dollars, principalement de la Chine, en hausse de 20% par rapport à l'année précédente.

SOURCE: AGRICULTURE, PÊCHERIES ET ALIMENTATION, 2007-2008, STATISTIQUE CANADA