Des fissures en escalier, une dalle de béton comme un biscuit brisé, une porte coincée... Ces fâcheux indices d'affaissement de sol se multiplient, en cette belle fin d'été très sec. Appauvrie en eau, l'argile se contracte, créant des poches de vide sous les fondations. La solution? Pieuter. La facture? Salée.

Les entreprises spécialisées en fondations de bâtiment ont du mal à répondre à la demande. «C'est du jamais vu depuis les années 80, soutient Gaétan Filteau, de chez Bisson Expert. Il y a deux points chauds: le Plateau-Mont-Royal et Brossard, largement lotis en sols argileux qui se dessèchent. Mais nous recevons aussi des appels de Saint-Hyacinthe, Saint-Basile-le-Grand, Saint-Amable...»

Chez Serge Desgagné, à Brossard, l'alerte a été donnée par des carreaux de céramique fracturés, sur le plancher du sous-sol. C'était il y a deux étés, dans la maison qu'il habite depuis 2003. «Les experts ont repéré trois fractures majeures dans les fondations, du côté ouest, résume-t-il. La maison s'enfonçait, littéralement.»

Natif du Lac-Saint-Jean, cet entrepreneur de métier, qui en est à sa 20e maison, vivait son pire cauchemar à vie en tant que propriétaire. «Ça me rappelait les glissements de terrain de Saint-Jean-Vianney. En plus, j'étais déjà aux prises avec un problème de pyrite.»

Le diagnostic

Comment confirmer qu'il y a affaissement, lequel commande, tôt ou tard, une coûteuse opération de fonçage? Si les données géologiques municipales et l'expérience des voisins pointent vers ce diagnostic, et si les dommages évoluent vers un stade sérieux, appelez les entreprises spécialisées en fondations, conseillent d'une même voix les spécialistes.

Par contre, si on désire une expertise neutre et complète, le véritable spécialiste des sols malades est l'ingénieur en géotechnique. Pour 4000$ ou 5000$, il prélève des «carottes», jusqu'à 5 m autour de la maison, et les analyse (résistance, teneur en eau). Il peut concevoir un plan de traitement minimal mais suffisant. «Ce professionnel fournira un devis précis, que l'entrepreneur n'aura qu'à suivre», explique l'architecte Jacques Gobeil, du CAA-Québec Habitation. Dans certaines circonstances - ô soulagement! -, il suffira de réparer les fissures, «un remède à 5000$ au lieu de 50 000$», dit Denis Roy, ingénieur à Inspec-sol. L'analyse géotechnique est également requise pour déterminer si un arbre est la cause de l'assèchement du sol, en vue de réclamer des dommages à la municipalité ou au voisin.

Le remède

Certaines entreprises de fonçage de pieux disposent d'ingénieurs en structure. «Nous prenons d'abord le niveau de la maison à différents endroits, avec un appareil au laser, explique Gaétan Filteau, pour déterminer les zones et le degré d'affaissement. Ensuite, notre ingénieur, en tenant compte de la charge du bâtiment et de la qualité du sol, prescrit des pieux de telle grosseur, à telle distance les uns des autres et plantés à telle profondeur. Pour être tout à fait tranquilles, nous testons chaque pieu à deux fois la charge prescrite.»

Les pieux sont enfoncés jusqu'au roc ou jusqu'au «refus», un terme du métier qui indique un fond très dur, probablement de la moraine. «Typiquement, on doit enfoncer jusqu'à 40 pieds sur le Plateau et à plus de 100 pieds à Saint-Amable, reprend l'expert en fondations. Plus on enfonce profondément, plus ça coûte cher.» Les travaux durent de 5 à 10 jours. À la fin, on profite de la tranchée ouverte pour changer le drain français. Dans le cas de vieilles maisons, on remplace les morceaux de béton qui se désagrègent, ou on coule une fondation neuve, sur pieux. Il faut parfois refaire les joints d'une fondation de moellons.

Combien?

«Un carré de maison de 32 pieds sur 40 - individuelle, duplex, triplex - coûte grosso modo de 25 000$ à 50 000$ à foncer, avance M. Filteau. Le travail de fonçage est en général garanti 15 ans. Pour la plupart des gens, le financement se fait par renouvellement hypothécaire.»

Or, les institutions financières ne considèrent pas que le fonçage de pieux apporte une plus-value à la maison, d'où leur frilosité à consentir un prêt lorsque la maison est déjà largement hypothéquée. «Mais le fonçage est souvent la seule façon de sauver son investissement», dit Gaétan Filteau. Pour le moment, il n'y a pas de programme d'aide pour l'affaissement de l'argile comme il y en a eu à Montréal et à Brossard.

Serge Desgagné a décidé de répartir les travaux d'Hercule et leur facture en deux temps: les trois quarts du fonçage de pieux ont été effectués il y a deux ans, et le reste, y compris l'enlèvement de la pyrite sous la dalle, sera fait l'été prochain.

Trop cher?

L'intervention minimale, si le budget est serré, consiste à réparer les fissures pour que l'eau n'entre pas dans le sous-sol. «On peut aussi procéder à un fonçage partiel, ajoute Gaétan Filteau. Mais nous recommandons de le faire, à moyen terme, sur tout le périmètre du bâtiment.»

François Éthier, vice président d'Hénault-Gosselin, abonde dans le même sens. «Les immeubles ne tomberont pas, dit-il. L'urgence d'agir tient plutôt aux dommages collatéraux: toiture qui fuit, égouts bloqués, vitres thermos qui éclatent... Plus on s'y prend tôt, moins il y en aura.»

Prévenir

Des études menées à l'École polytechnique de Montréal démontrent qu'hydrater le sol en profondeur aide l'argile à conserver sa capacité portante. «Mais cette méthode demande beaucoup de suivi et ne peut être recommandée à monsieur Tout-le-Monde», dit Mohammad Hosseini, ingénieur en géotechnique à Fondasol. Il est plus simple, selon lui, de bannir certains feuillus près de la maison (saules pleureurs, érables argentés) et de leur préférer des conifères.

Gaétan Filteau déplore le peu de recherche faite en prévention. «Il faudrait mettre au point d'autres méthodes, par exemple injecter un matériau entre la semelle affaissée et le mur», plaide-t-il.

Et si l'été sec était suivi d'un automne pluvieux, les problèmes d'affaissement pourraient-ils se régler d'eux-mêmes? «Il ne faut pas espérer, avec le type d'argile que nous avons au Québec, que le sol retrouve sa position initiale», conclut M. Éthier.

Le mal est donc fait... jusqu'au fonçage.

À savoir

Dans les contrats d'assurance-habitation, «il y a toujours une exclusion très claire concernant les mouvements du sol, signale Anne Morin, du Bureau d'assurance du Canada. La compagnie d'assurance assure seulement le bâti.» L'Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) offre deux excellentes brochures, Votre maison est fissurée 1 et 2, ainsi qu'un document sur les clauses à insérer dans un contrat de pieutage. «Avant de signer un contrat, ajoute Jacques Gobeil: demandez s'il y a un ingénieur dans l'équipe, vérifiez si l'entreprise a toujours sa licence de la Régie du bâtiment du Québec et si elle a fait l'objet de plaintes à l'Office de la protection du consommateur.» Pour les urbains: faites préciser qui assumera le coût des permis de stationnement dans la ruelle, qui grimpe vite à 1000$ ou 2000$.