Démolir. Jeter. Reconstruire. Cette pratique polluante bien implantée dans l’industrie de la construction est aujourd’hui remise en question. Comment rénover nos habitations sans transformer en déchets des matières tout à fait réutilisables ? Pistes de solution.

C’est un triplex typique du Plateau Mont-Royal : construit au début du XXsiècle et peu rénové, briques rouges et fondations en pierre, plancher de bois franc d’origine, moulures décoratives, portes et fenêtres en bois.

Nouvellement acquis par un jeune couple qui souhaite occuper le rez-de-chaussée. Plusieurs auraient cru bon de tout arracher. Repartir à neuf, comme dans cette histoire récente de flip qui a récemment fait jaser.

Lisez l’article « Un flip qui fait flop »

Mais ici, à la suggestion de l’entrepreneur général, on a conservé, dans un des appartements, les planchers qui avaient été peints en vert, après les avoir décapés et huilés. Les portes en bois et les moulures aussi, ainsi que certains pans de bois.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le menuisier Emmanuel Carter, membre de la Coop Maître d’œuvre, montre une poutre d’origine qui a été découverte lors des rénovations et qui sera conservée apparente.

L’immense mur de briques sur le côté, qui avait été endommagé par une infiltration d’eau, a également été réparé et renforcé avec des plaques de métal pour prolonger sa durée de vie. « Du point de vue écologique, ça vaut la peine, mais on a utilisé une méthode temporaire pour une raison de coûts », précise l’entrepreneur général Mathieu Riendeau, fondateur de la Coop Maître d’œuvre, une coopérative à but non lucratif qui vise à contribuer à la santé de l’immobilier collectif, mais qui travaille aussi avec des particuliers.

  • Affaibli par une infiltration d’eau, le mur a été renforcé pour prolonger sa durée de vie.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Affaibli par une infiltration d’eau, le mur a été renforcé pour prolonger sa durée de vie.

  • Certains pans de bois ont été conservés dans l’appartement du rez-de-chaussée.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Certains pans de bois ont été conservés dans l’appartement du rez-de-chaussée.

  • L’escalier sera rafraîchi.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’escalier sera rafraîchi.

  • Au troisième étage, le plancher de bois franc a été décapé et huilé. À droite, le résultat final.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Au troisième étage, le plancher de bois franc a été décapé et huilé. À droite, le résultat final.

  • Les moulures et le mur de briques resteront en place.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Les moulures et le mur de briques resteront en place.

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« Quand on est dans des coûts très importants sur une question, ça se règle facilement, mais quand c’est moins cher d’aller acheter une porte neuve prémontée chez Home Depot, on jette, on jette, on jette », déplore-t-il.

Cette culture du gaspillage est aujourd’hui de plus en plus dénoncée, même par la FTQ-Construction. Le syndicat, qui représente 85 000 membres travailleurs de l’industrie, a présenté un plan de transition le mois dernier dans lequel il appelle à une modernisation des pratiques et à une plus grande réutilisation des matériaux. Au Québec, le secteur de la construction génère 3 millions de tonnes de déchets annuellement.

Lisez l’article « On jette de bons matériaux aux ordures »

« Dans le milieu de la construction, l’économie circulaire n’est pas très développée, comparativement à d’autres secteurs au Québec, observe Caroline Thomasset-Laperrière, écodesigner stratégique et chargée de développement en économie circulaire à Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ). Il y a une culture du gaspillage systémique parce qu’on a des préjugés par rapport à ce qu’un matériau usagé pourrait être moins performant qu’un matériau neuf. Mais il y a toujours une façon de réutiliser les matériaux pour des fonctions où ils vont pouvoir performer suffisamment bien. » Elle cite en exemple le réemploi de fenêtres à l’intérieur, pour créer des cloisons vitrées.

L’attrait pour les matériaux neufs est l’un des 29 freins à la valorisation ciblés par le Laboratoire d’accélération en économie circulaire du secteur de la construction du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) de l’École de technologie supérieure (ETS). Parmi les autres, notons l’absence de normes sur l’utilisation des matériaux secondaires.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’entrepreneur général Mathieu Riendeau, de la Coop Maître d’œuvre

Si je réutilise une toilette dans un autre immeuble, même si elle a un an de vie, je ne peux pas la garantir. Un client veut bien avoir la plus petite empreinte possible, mais il ne veut pas perdre ses garanties et sa capacité d’être assuré.

Mathieu Riendeau, fondateur de la Coop Maître d’œuvre

La logistique du tri sur le chantier, l’assemblage qui ne favorise pas la déconstruction, le coût élevé de la main-d’œuvre, celui de l’enfouissement qui n’est pas prohibitif ainsi que le manque de services structurés pour marier l’offre à la demande sont aussi des barrières importantes, selon le CERIEC.

En ce sens, ASFQ prévoit étendre la mission de son magasin Éco-Réno, situé dans le quartier Rosemont à Montréal. Spécialisé dans les matériaux à caractère patrimonial, le magasin déménagera d’ici l’été prochain et verra sa superficie quadrupler pour être en mesure d’offrir tout type de matériaux. Ses stocks seront aussi numérisés et accessibles en ligne. Notons que l’organisme délivre des reçus fiscaux pour les dons de matériaux.

C’est aussi sur cet enjeu que travaille l’équipe d’Architecture InForm depuis sa participation à l’Incubateur civique de la Maison de l’innovation sociale (MIS), plus tôt cette année. « Il y a deux ans, on a eu nos premiers mandats de surveillance de chantier et on a été confrontés au désastre qu’on contribuait à perpétrer », confie Jonathan Tremblay, architecte-associé chez Architecture InForm.

De cette réflexion est né Surcy, un projet de plateforme numérique qui vise à rendre l’achat de matériaux usagés aussi simple que celui de matériaux neufs en connectant des personnes qui ont des matériaux à d’autres qui en ont besoin et en centralisant l’offre des centres de réemploi situés dans les différentes régions du Québec. Le projet est en cours de développement et pourrait entrer dans sa phase de test en novembre.

Une question d’argent

Tous s’accordent pour dire que le principal frein à une plus grande valorisation des matériaux, c’est l’argent. Bien que des économies puissent être faites quand on opte pour des matériaux usagés, lorsque vient le temps de déconstruire, les coûts s’accumulent.

PHOTO PHILIPPE LATOUR, FOURNIE PAR ASFQ

Caroline Thomasset-Laperrière, écodesigner stratégique et chargée de développement en économie circulaire chez Architecture Sans Frontières Québec

Quand ce n’est pas conçu pour être démonté, ça prend plus de temps. Souvent, il faut compter cinq fois plus de main-d’œuvre pour démanteler un bâtiment que pour le démolir.

Caroline Thomasset-Laperrière, écodesigner stratégique

« Quelle est la valeur de réutilisation d’un plancher de bois ? illustre Mathieu Riendeau. Si le temps ne coûte rien, ça peut avoir une valeur intéressante. Mais si le temps a une valeur monnayable à l’heure pour un travailleur, personne ne va considérer que c’est économiquement viable. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La machine Brique Recyc de Maçonnerie Gratton

Maçonnerie Gratton s’est attaquée à cet enjeu pour la brique. Afin d’encourager la réutilisation de briques sur un chantier, l’entreprise montréalaise a inventé en 2021 Brique Recyc, une machine qui permet de déconstruire un mur, de récupérer les briques, de les nettoyer et de les remettre en place.

Une corvée de déclouage

La designer Nathalie Caron met quant à elle la main à la pâte quand vient le temps de déconstruire une maison et elle invite ses clients à faire de même. « Il faut que les propriétaires s’impliquent. C’est comme faire le ménage du frigo. C’est un peu plate, mais il faut le faire au lieu de jeter de la nourriture. Alors, il faut trier les tas, ne pas jeter le bois, le métal, les membranes qui sont encore bonnes et les isolants rigides. »

Dans un de ses récents projets de rénovation à Eastman, les pans de bois servant de squelette aux murs intérieurs ont été réutilisés par l’entrepreneur… après que ses clients ont appelé des amis en renfort pour les aider à déclouer. « Avec une coupe de vin ! précise Nathalie Caron. On a eu ben du fun ! »

Dans un autre projet, elle a convaincu la propriétaire de la laisser démanteler le plus possible de matériaux avant l’arrivée de l’équipe de démolition. Ces matériaux, elle les a utilisés dans un autre projet : une minimaison aménagée en forêt fabriquée à 75 % de matériaux recyclés.

  • La designer Nathalie Caron estime à environ 75 % la proportion de matériaux usagés utilisés dans ce projet.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La designer Nathalie Caron estime à environ 75 % la proportion de matériaux usagés utilisés dans ce projet.

  • Les matériaux proviennent essentiellement de deux projets de rénovation qu’elle a menés dans les dernières années.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Les matériaux proviennent essentiellement de deux projets de rénovation qu’elle a menés dans les dernières années.

  • La maison, qui sert surtout pour les invités, mesure 12 pieds par 24 pieds.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La maison, qui sert surtout pour les invités, mesure 12 pieds par 24 pieds.

  • Une véranda avec moustiquaire a aussi été aménagée.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Une véranda avec moustiquaire a aussi été aménagée.

  • La designer Nathalie Caron

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La designer Nathalie Caron

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L’organisme Écohabitation aborde notamment la récupération des matériaux dans certaines de ses formations offertes aux particuliers.

Après, il revient aux clients d’inclure une exigence de récupération des matériaux dans le contrat qu’ils signent avec l’entrepreneur en construction, croit Jonathan Tremblay. « Est-ce qu’il y a de plus en plus d’entrepreneurs qui sont avenants face à ça ? Oui. Est-ce que c’est la majorité ? Non. Mais c’est le projet du client et c’est lui qui doit mettre ses critères de l’avant. »

Pousser au maximum la circularité est l’un des objectifs du Duplex circulaire, un projet de recherche que l’architecte Alexandre Landry et les designers de L’Atelier 3/4 fort entament dans le cadre du laboratoire d’accélération en économie circulaire du secteur de la construction du CERIEC. Lors de la conversion d’un duplex du quartier Villeray en maison unifamiliale, ils tenteront de maximiser le réemploi des matériaux, tout en cherchant à diminuer les coûts. Une analyse des composantes existantes sera réalisée au préalable et l’entrepreneur en construction participera au projet dès la conception.

Il y a ce réflexe des fois chez les architectes : on fait table rase, on strippe. C’est une approche qu’il faut repenser. Bien qu’on ait un environnement bâti qui est vieillissant, il y a quand même des bâtiments qui ont une bonne base.

Alexandre Landry, architecte

Dans ce projet, il y a aussi cette volonté de se détacher de l’esthétique do-it-yourself et hétéroclite souvent rattachée au réemploi. « Une façon de contribuer à la réplicabilité de cette approche, c’est de faire la preuve qu’on peut avoir des intérieurs qui sont sobres et minimalistes bien qu’on utilise des matériaux recyclés », indique l’architecte.

Pour plusieurs, une valorisation à plus grande échelle passe par une réglementation et des incitations financières. « Le jour où on va être responsable de tout ce qui entre et sort de chez nous, ça va nous faire sentir autrement », pense Mathieu Riendeau.

Le cas de Vancouver

En Colombie-Britannique, la Ville de Vancouver a adopté un règlement pour accroître la réutilisation des matériaux de construction. Les maisons construites avant 1950 doivent être déconstruites afin qu’un minimum de 75 % de leurs composantes soient recyclées ou réutilisées. Cette exigence grimpe à 90 % pour les maisons étiquetées comme ayant du « caractère ». Pour les résidences construites avant 1910, un minimum de trois tonnes métriques de bois doit être récupéré. De plus, aux demandeurs d’un permis de déconstruction volontaire, la Ville propose un rabais de 50 % sur les coûts d’enfouissement et l’obtention plus rapide du permis. « Ce sont des leviers qui ne coûtent pas forcément de l’argent à la municipalité », note Hortense Montoux, chargée de projet au Lab construction du CERIEC, qui travaillera avec des municipalités du Québec pour déterminer des mesures qui pourraient être mises en place ici.

En savoir plus
  • 53 %
    Proportion des résidus de construction, de rénovation et de démolition reçus par les centres de tri du Québec en 2018-2019 qui ont été acheminés aux fins de recyclage et de valorisation énergétique (combustion).
    Source : Bilan 2018 de la gestion des matières résiduelles au Québec, Recyc-Québec