Il y a des gens qui s’émeuvent des lignes d’une voiture, d’autres qui craquent devant un appareil électronique dernier cri. S’emballer devant une perceuse ou une scie à onglet, devoir résister à la tentation à chaque visite à la quincaillerie, ça se peut aussi. La Presse présente trois tripeux d’outils, dont le bédéiste Michel Rabagliati.
Michel Rabagliati : de bien belles bébelles
Le bédéiste Michel Rabagliati aime les outils et les travaux manuels. Il l’a d’ailleurs raconté dans Paul à la quincaillerie, l’une des courtes histoires qui composent son album Paul dans le métro. « Une quincaillerie, c’est un endroit où je me sens bien, dit-il. Je rentre là, je respire, je suis chez nous et j’ai vraiment envie de flâner. »
Qu’est-ce qui l’intéresse ? « Tout, répond-il. Je fais toutes les rangées. » Il scrute les vis, fouine dans les prises de courant (« J’en ai trouvé avec prise USB intégrée », dit-il, en pointant vers le comptoir de sa cuisine), regarde les différentes colles… « J’ai toujours l’oreille tendue pour entendre ce que les commis racontent. Ça m’intéresse, insiste-t-il, et ça peut me servir. »
Il zyeute, il tâte, mais il achète peu ces derniers temps. « Je n’ai pas de travaux à faire [en ce moment]. Je n’achète pas des outils pour rien », précise-t-il. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir encore des émotions d’outils…
Tout récemment, en naviguant sur le site internet d’un fabricant réputé d’outils pour travailler le bois, un petit rabot lui est tombé dans l’œil. « Qu’est-ce que je ferais avec ça ? Je ne le sais pas. Mais l’outil est écœurant ! », lance le bédéiste avec un large sourire.
Apprendre en gaffant
Michel Rabagliati a commencé à bricoler avec son père, qui n’était pourtant pas un grand bricoleur. Avec lui, au chalet familial, il a quand même coupé et posé du gypse, eu bien du plaisir à poser de l’isolant avec une agrafeuse et appris à manier son premier outil électrique : une scie sauteuse.
« La scie sauteuse, c’est relaxe, trouve-t-il encore aujourd’hui. Tu peux y aller lentement, arrêter, tourner. Il ne peut pas se passer grand-chose avec une scie sauteuse. » Rien à voir avec la scie circulaire, outil aux dents autrement plus menaçantes, qui fait en plus un bruit infernal. « Une coupe à la scie circulaire, c’est un mauvais moment à passer ! »
Je fais des travaux par nécessité. Je ne descends pas dans le sous-sol pour fabriquer des cabanes d’oiseaux. Il faut que j’aie besoin de quelque chose.
Michel Rabagliati, bédéiste et amoureux des outils
Le bédéiste a fait beaucoup de travaux depuis cette époque : deux salles de bains, des escaliers extérieurs et, entre autres choses, une rallonge sur pilotis pour sa maison. « J’en ai fait beaucoup et j’ai gaffé beaucoup, admet-il en riant. Je n’ai pas eu assez de maisons pour apprendre de toutes mes erreurs. »
Des trouvailles
Les outils incontournables, Michel Rabagliati les possède tous. Ce sont toutefois ses trouvailles qu’il a du plaisir à montrer quand on descend au petit atelier situé dans son sous-sol : une équerre ajustable « pour rapporter des angles weird », un serre-joint pour cadre (une affaire « géniale »), des pinces de serrage (« C’est comme avoir des mains supplémentaires ») et un niveau en coin.
L’utilité d’un outil est primordiale à ses yeux, bien sûr. Ce qui ne l’empêche pas de les trouver beaux, d’en apprécier la conception et même l’usage. Il dit notamment d’un mini coupe-tuyau de cuivre que c’est une « belle bébelle » qui fait de belles coupes. « Je ne m’en sers pas tous les jours, mais c’est un plaisir. »
« Le nec plus ultra, c’est quand même les power tools, ajoute-t-il, parlant des outils électriques. Ils changent et se raffinent. C’est impressionnant, mais est-ce que j’en ai besoin ? Je n’ai même pas de perceuse rechargeable. Celle à fil fonctionne encore… »
Michel Rabagliati n’a plus de gros travaux à faire sur sa maison. L’envie de faire quelque chose de ses mains — n’importe quoi ! — le démange encore, par contre. Il s’est même déjà acheté un kit de broderie, parce qu’il trouve ça beau et que ça l’intéresse. « Je suis quelqu’un de très hands on », dit-il.
« Les quincailleries, les papeteries, les Omer DeSerres, pour moi, ce sont des magasins d’outils pour faire quelque chose, insiste-t-il. Faire quoi ? Je ne sais pas. J’ai envie de tout faire ! »
Diana Silva : jamais sans ses outils
Partout où elle va, Diana Silva traîne trois outils : une règle, une équerre et un rabot. Tous en format miniature. « Ils sont vraiment précieux, ils sont à moi. Ceux-là, je ne les prête jamais, précise-t-elle. Je les ai toujours dans mon sac avec moi, même quand je ne travaille pas. Je suis très attachée à eux. »
Il y a une raison pour laquelle la jeune Colombienne établie au Québec depuis 10 ans est si jalouse de ses outils : elle est ébéniste, alors ce sont ses instruments de travail. « Quand l’un de mes outils tombe sur le plancher, je me sens mourir, dit-elle. Il ne faut pas qu’ils s’abîment, perdent leur tranchant, leur précision. »
Diana Silva croit que son goût pour le travail manuel lui vient en partie du fait qu’elle a grandi en jouant avec des Lego. Ce dont elle est certaine, par contre, c’est qu’elle s’est ennuyée durant ses études en design industriel, à Bogotá, capitale de la Colombie. « On passait beaucoup de temps devant l’ordinateur, se rappelle-t-elle. Et j’ai toujours eu l’âme plus bricoleuse. »
C’est après ces études-là qu’elle a bifurqué vers l’ébénisterie où elle a appris à manier des scies électriques, mais aussi d’autres outils de coupe plus spécialisés : ciseaux à bois, rabots, toupie. « J’étais contente, dit-elle, on était toujours dans l’action. » Elle a refait une deuxième formation d’ébéniste à son arrivée au Québec pour se familiariser avec les façons de faire, rencontrer des gens et apprendre le langage technique associé à son métier en français.
Pour Diana Silva, qui est aujourd’hui chef d’atelier aux Affûtés, un espace de travail collaboratif consacré aux travaux manuels, les outils sont des objets fascinants. Elle s’intéresse aux nouveaux produits, aux nouvelles machines et est du genre à lire le manuel d’instruction au complet avant de se lancer.
« Ce qui me fait triper, c’est d’aller dans des endroits spécialisés en ébénisterie. Ça, c’est un peu dangereux ! », reconnaît-elle. Il lui est en effet souvent arrivé d’acheter un outil dont elle n’avait pas besoin, juste parce qu’elle le trouvait beau. Maintenant que travailler le bois est son métier, elle s’assure de faire des choix ciblés. Un outil, c’est toujours un bel objet à ses yeux, mais c’est d’abord un instrument qui permet de réaliser quelque chose.
Un outil pour chaque chose
« Je ne suis jamais mal pris », dit Gilles Lalonde. On n’en doute pas une seconde : son garage au grand complet est un coffre à outils. Chaque armoire, chaque tiroir, chaque étagère, chaque bout de mur sert à ranger ou à accrocher ses instruments de bricolage et d’ébénisterie.
Le retraité de presque 70 ans a passé les 15 dernières années de sa vie professionnelle à faire de la rénovation à son compte. Avant ça, il avait été gestionnaire et entrepreneur dans des milieux qui n’avaient rien à voir avec la construction.
Gilles Lalonde a toutefois toujours « bricolé », comme il dit. Par plaisir et par nécessité. Enfant, avec des amis, il a construit des voiturettes en bois. Étudiant, il s’est notamment confectionné des bibliothèques avec les planches qui lui tombaient sous la main. Jeune adulte, il a construit sa première maison avec l’aide de son beau-père.
Et c’est au fil du temps qu’il s’est constitué son imposant parc d’outils. « Je me suis informé énormément, dit-il, et je suis allé selon mes besoins et mon budget. » Les outils, pour lui, ce sont d’abord des objets utiles. Ce qui ne l’empêche pas de les trouver beaux ou d’en apprécier les détails de conception.
« Toutes les courbes sont étudiées pour être efficace, dit-il, parlant d’une barre de démolition qui n’a l’air de rien. Un arrache-clou, ça a l’air niaiseux, mais c’est super efficace. Je me suis rendu compte de ça un jour que je travaillais avec un chum. Fait que je suis allé m’en acheter un ! »
Des outils multi-usages qui dépannent, Gilles Lalonde en a des tonnes. Sauf que son plaisir à lui, c’est visiblement d’avoir le bon outil pour le bon usage. D’où cette équerre à gypse ajustable, ce marteau de 20 onces (« Tu n’as pas besoin de taper 20 coups avec ça… ») ou encore cet adaptateur d’angle pour tournevis à percussion, qui permet de visser dans des endroits difficiles d’accès.
S’il possède le nécessaire de tout rénovateur aguerri, sa fierté, ce sont ses gros outils de menuiserie : banc de scie, scie à ruban, planeur, dégauchisseuse et toupie. Il est intarissable lorsqu’il raconte où il a déniché l’un, la saga de la réparation de l’autre ou la conception de meubles qui lui servent à les ranger.
Avoir un atelier bien organisé, ce n’est pas juste une manière de s’y retrouver et de travailler efficacement pour Gilles Lalonde. Derrière cet ordre, on perçoit toute l’affection qu’il a pour ses outils et ce qu’ils lui permettent de réaliser.