Une église convertie en temple de la bière, une nef transformée en supermarché ou en «showroom» automobile: devant la désaffection religieuse et les coûts d'entretien, certaines Églises britanniques cèdent leur patrimoine, donnant une seconde vie, parfois incongrue, à ces lieux de culte.

À peine franchi le porche de l'église presbytérienne de Muswell Hill, un imposant édifice de briques rouges et de galets, dans le nord de Londres, trône un énorme tonneau en bois de Guinness et pulse une musique pop. Le transept toujours surmonté d'arches de style gothique, mais peintes en rouge vif, abrite un bar gigantesque, les bancs d'église ont été remplacés par des tables, des tabourets et des machines à sous.

Cette ancienne église construite en 1902, dont l'extérieur est resté absolument intact, accueille désormais un pub irlandais, devenu un repère d'habitués.

«Si c'était encore une église, il y aurait deux ou trois personnes, alors que le vendredi et le samedi, c'est plein à craquer», constate John Earl, un ouvrier du bâtiment, en buvant une pinte. «Mais c'est un peu bizarre, j'ai l'impression que je me dois de respecter ce lieu. Ca ne m'empêcherait pas d'être ivre mais je ne voudrais pas que des gens gravent des inscriptions sur les piliers», explique ce blond de 46 ans, qui préfère les pubs traditionnels à taille plus humaine.

À une autre table, Yamini, 33 ans, s'enthousiasme. «C'est superbe ici. Ca change des autres pubs. Au moins l'endroit est utilisé au lieu d'être à l'abandon», estime-t-elle en appréciant un verre de rouge avec une amie.

Devant la baisse constante de la pratique religieuse depuis des années, les Églises au Royaume-Uni se voient obligées de repenser la gestion, très onéreuse, de leur colossal patrimoine.

Mais la politique en la matière varie beaucoup d'une chapelle à l'autre. L'Église anglicane, la plus puissante au Royaume-Uni, encadre très strictement la reconversion, en n'acceptant de vendre des édifices qu'avec une utilisation approuvée par un comité, au terme d'un long processus.

«Une église ne peut pas abriter de centre de planning familial (...) ni de sex shop, ou encore de casino. Un restaurant, c'est OK  - à moins qu'il ne s'appelle Le Diable par exemple - mais un pub non»,  explique à l'AFP Jeremy Tipping, en charge du déclassement des édifices religieux de l'Eglise d'Angleterre.

Autre usage accepté: un centre d'escalade comme dans l'église St Benedict à Manchester (ouest), un lieu d'entraînement pour un cirque, comme à St Paul à Bristol (ouest) où le volume permet de suspendre un trapèze, ou encore un supermarché, une bibliothèque, un temple sikh, ...

«Une église ressemble toujours à une église, quelle que soit son utilisation: elle a un clocher, des vitraux», donc l'Eglise anglicane s'oppose à toute conversion jugée «préjudiciable pour sa réputation», poursuit Jeremy Tipping.

Des reconversions parfois embarrassantes

Malgré une réglementation très stricte, l'Église d'Angleterre n'évite pas quelques situations embarrassantes.

Une église a été cédée à une galerie d'art, se rappelle Jeremy Tipping, «et nous avons reçu des appels» de personnes se plaignant «que l'art exposé était obscène».

Les dérapages existent aussi pour l'Église catholique, où la reconversion des édifices - moins encadrée - relève des diocèses et non d'un comité national.

À Liverpool (ouest), l'église St Peter, qui a conservé des peintures religieuses, abrite désormais un restaurant qui organise des soirées Halloween. «Pour de nombreux catholiques, c'est profondément offensant», admet Sophie Andreae, vice-présidente du Comité du patrimoine de l'Eglise catholique d'Angleterre et du Pays de Galles.

Entre 1969 et 2011, l'Eglise anglicane a fermé 1872 églises. Un total de 474 ont été détruites, et 1046 ont été transformées en lieux profanes, lui permettant d'engranger un bénéfice net de 57 millions d'euros dont l'essentiel a été reversé aux diocèses.

L'usage le plus fréquent reste la transformation en lieux de résidence, parfois de luxe, comme cette maison de sept chambres, avec une hauteur de plafond spectaculaire, de splendides vitraux et une piscine, proposée à 60 millions d'euros en 2013 à Londres.

Rachel Chudley, 28 ans, a elle acheté un appartement plus modeste, mais plein de charme, dans une église de l'est de la capitale. Les fenêtres de son salon, en forme d'arches, se terminent par des sculptures. «Nous sommes tout en haut de l'église, dans le clocher, un endroit que les fidèles ne voyaient pas», explique cette architecte d'intérieur, agnostique. «Ma famille rigole en disant que je me suis rapprochée du paradis» en achetant cet appartement.

«Dès fois, je me dis: ''Oh mon dieu, est-ce que je commets un sacrilège en habitant dans une église ?''», lance-t-elle en riant. Le dilemme ne semble pas la tourmenter outre mesure, puisqu'elle reconnaît avoir pris «quelques libertés» avec le lieu: dans son salon trône une sculpture représentant un pénis avec un piercing.