Marier constructions résidentielles neuves et patrimoine est parfois un véritable défi. Or, le jeu en vaut souvent la chandelle, car il permet non seulement d'éviter la démolition de bâtiments historiques laissés à eux-mêmes, mais aussi de leur donner une nouvelle vie, au coeur du quotidien de centaines de personnes. Aperçu de deux opérations de sauvetage en cours... et d'autres, déjà réalisés, que la critique a salués.

Des bijoux rescapés au centre-ville

Boulevard René-Lévesque, à l'ouest du Centre Bell, deux bâtiments centenaires malmenés au cours des dernières décennies retrouveront leur beauté d'antan. Leur planche de salut ? Ils sont chacun intégrés dans un complexe résidentiel d'envergure qui entend les mettre en valeur.

L'ancien hospice des Petites Soeurs des pauvres, dont le bâtiment original date de 1892, reprendra vie au coeur de l'O'Nessy, de Devimco Immobilier. À quelques rues, la demeure que Louis-Hippolyte La Fontaine a acquise en 1849 retrouvera sa prestance au sein du YUL, du Groupe Brivia Immobilier. Dans les deux cas, c'est à l'agence Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes qu'incombe la délicate tâche de faire revivre ces témoins du passé tout en les ancrant dans la modernité.

Le conseil du patrimoine

La Maison Louis-Hippolyte-La Fontaine est un édifice qui bénéficie d'une protection en vertu de la Loi sur le patrimoine, explique Anik de Repentigny, porte-parole de l'arrondissement de Ville-Marie. « La délivrance d'un permis pour transformer un tel édifice nécessite un avis [favorable] du Conseil du patrimoine de Montréal ainsi qu'une résolution du conseil municipal, explique-t-elle. Le promoteur avait donc avantage à offrir une solution convaincante et durable pour ce bâtiment. La Maison Saint-Édouard n'a pour sa part aucun statut patrimonial formel, mais il s'agit à l'évidence d'un ensemble bâti d'intérêt exceptionnel. Aussi, dans ce cas-ci, c'est par une autorisation de plan d'ensemble particulier que des hauteurs plus élevées ont été accordées en échange, notamment, de la mise en valeur du bâti historique présent sur le site. 

« De façon générale, les promoteurs ont toujours un certain choix. Pour la Maison Louis-Hippolyte-La Fontaine, aussi bien que pour la Maison Saint-Édouard, ils ont fait les bons choix et il faut leur rendre justice », dit-elle.

À côté de l'Hôtel-Dieu

Cette semaine, la Ville de Montréal a annoncé qu'elle fera l'acquisition du site qu'habitent les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph depuis 1861, à côté de l'Hôtel-Dieu. Elle a alors mis en lumière le défi que représente la préservation d'un patrimoine bâti, naturel et symbolique d'une valeur exceptionnelle.

Un processus de consultation publique débutera à l'automne afin de prendre le pouls des Montréalais et élaborer un plan directeur pour mettre en valeur le site d'environ 36 605 m2 (environ 400 000 pi2), établi sur le flanc du mont Royal, dont le tiers est occupé par un immense jardin, doublé d'un verger. Dans un premier temps, la priorité sera d'assurer le déménagement d'une soixantaine de religieuses dans le pavillon Masson, à l'arrière du terrain. Des logements communautaires seront par ailleurs construits à la place d'un stationnement de l'Hôtel-Dieu, qui appartient encore au gouvernement québécois, a précisé le maire Denis Coderre.

Il s'agit d'une bonne nouvelle pour la cinquantaine d'organismes du milieu, qui se sont mobilisés pour stopper la vente du centre hospitalier à des intérêts privés. Travaillant sur le dossier depuis trois ans, ils se sont penchés sur l'avenir de l'Hôtel-Dieu et ont défini leur vision. Leur projet, appelé à évoluer, prévoit environ 120 logements communautaires destinés principalement à des familles, ainsi que des services de santé, des espaces verts et communautaires, des petits commerces et des ateliers d'artistes.

« Il faut ramener des familles et répondre aux besoins du quartier », souligne Robert Manningham, directeur général du Groupe de ressources techniques Atelier Habitation Montréal, qui fait partie du regroupement.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR RAYSIDE LABOSSIÈRE

Le sort de l'Hôtel-Dieu n'est pas encore fixé. Mobilisés depuis 2013, une cinquantaine d'organismes ont défini les besoins de la communauté et élaboré leur vision de la mise en valeur du site. À noter: l'ajout d'arbres et de verdure. Le projet, appelé à évoluer, prône notamment la construction d'environ 120 logements communautaires, dans deux immeubles de 4 et 6 étages.

YUL, la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine

Louis-Hippolyte La Fontaine, premier Canadien à devenir premier ministre du Bas-Canada, a acheté la demeure en 1849, quatre ans après sa construction. Celle-ci porte encore les marques des balles tirées sur elle lors des émeutes de 1849, dans l'espoir d'atteindre l'avocat. C'est là qu'il est mort, en 1864.

Initialement construite dans un grand verger, la résidence a été transformée pour accueillir des locataires et a gagné une fausse mansarde en 1905. Les maisons en rangée bâties à l'ouest, le long de l'avenue Overdale, ont disparu et seront remplacées par les 17 maisons en rangée du complexe YUL.

« La maison a été violentée à plusieurs reprises », indique Anik Shooner, de l'agence Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, en évoquant les squatteurs évacués par la police en 2001 et les graffitis qui la défigurent encore.

La demeure fait l'objet d'une surveillance constante, précise l'architecte. Toute intervention à ses abords se fait très délicatement et s'apparente au travail d'un joaillier. Elle retrouvera sa beauté et sa fonction d'origine (pour une seule famille) et sera entourée d'un petit jardin avec des pommiers miniatures.

Elle a donné le ton au YUL, révèle Mme Shooner. « Elle a permis de déterminer la volumétrie et l'échelle des maisons en rangée voisines, et a servi d'inspiration lorsque les matériaux pour les deux tours et les maisons ont été choisis, précise-t-elle. On a joué avec les couleurs de la pierre calcaire. »

La résidence a joué un grand rôle dans l'histoire de Montréal et fait partie intrinsèque du site, indique Kheng Ly, président-directeur général du Groupe Brivia Immobilier, qui habite dans la métropole depuis 28 ans.

« Le but est de la rénover pour qu'elle devienne un joyau pour Montréal, renchérit Philip Cortese, vice-président à la direction de l'entreprise. Ce serait le fun si elle faisait partie d'un circuit touristique. »

Son intérieur sera-t-il contemporain ou plutôt traditionnel ? Tout dépendra du goût des acheteurs, qui n'ont pas encore été trouvés.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LE GROUPE BRIVIA IMMOBILIER

La Maison Louis-Hippolyte-La Fontaine retrouvera sa beauté originale dans le cadre du complexe YUL. Sa fausse mansarde sera remplacée par un toit en pente à quatre versants afin qu'elle ressemble de nouveau à la villa qu'elle était au milieu du XIXe siècle. Des pommiers miniatures seront plantés dans le jardin adjacent. 

O'Nessy, la maison Saint-Édouard

L'ancien asile des vieillards des Petites Soeurs des pauvres a hébergé ses premiers patients à l'époque où plusieurs communautés religieuses avaient pignon sur rue dans les environs. Il se trouve dans le Village Shaughnessy, englobé en 2011 dans le Quartier des grands jardins, nommé ainsi en référence aux vastes jardins des institutions qui s'y sont établies au cours des 300 dernières années.

L'édifice original a été bâti en 1892 selon les plans de l'architecte Casimir Saint-Jean, qui l'a alors appelé Maison Saint-Édouard. L'immeuble a été agrandi en 1911 et 1951. L'immense espace vert qui l'entourait a été amputé pour faire place à une bretelle de sortie de l'autoroute Ville-Marie. L'édifice, transformé pour accueillir des bureaux, était désaffecté lorsque Devimco Immobilier a fait l'acquisition du terrain.

« La Maison Saint-Édouard est un atout, affirme Marco Fontaine, directeur principal ventes et marketing de l'O'Nessy. C'est la pièce maîtresse du projet, qui lui donne sa stature. On y intégrera les aires communes pour que tous puissent en profiter. »

Seul le bâtiment original est préservé, à bonne distance des tours de 15 et 20 étages qui l'enchâsseront « à la manière d'un écrin », indique Jean-Pierre LeTourneux, de l'agence Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes.

« Cela prend un promoteur aguerri et audacieux, avec du doigté, pour relever un tel défi », fait-il remarquer.

Toutes les précautions sont prises pour s'assurer du maintien de la fondation et voir à ce que les conditions initiales de l'enveloppe du bâtiment soient conservées, pour qu'il puisse continuer de respirer comme avant, assure M. Fontaine.

« Les copropriétaires vont retrouver le cachet d'un immeuble centenaire dans un bâtiment refait à neuf à l'intérieur », indique-t-il.

Seulement 22 condos seront aménagés dans l'immeuble de quatre étages. Ils seront mis en vente à la mi-juin à partir de 296 000 $ (687 pi2), jusqu'à 1,4 million (3300 pi2, toujours taxes en sus). Les appartements seront à l'écart de l'immense espace occupé autrefois par une chapelle, où se trouveront, sur trois niveaux, une piscine intérieure, une salle d'entraînement, un chic salon, etc.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR DEVIMCO IMMOBILIER

La Maison Saint-Édouard sera entièrement rénovée. C'est la pièce maîtresse du complexe O'Nessy, en construction au centre-ville de Montréal du côté sud du boulevard René-Lévesque, à l'ouest du Centre Bell.