À quoi ressemble la vie dans Cohabitat Québec? Bien que chacun ait sa maison et sa cuisine privées, il y a des repas communautaires au moins une fois par semaine, dans la maison commune. Presque tout le monde y va, «pour le plaisir d'être ensemble», disent les membres.

Les résidants de Cohabitat Québec font des économies sur divers points - chauffage, entretien, gymnase, etc. Ils doivent toutefois faire partie d'une équipe de travail - cuisine, vaisselle, ménage, tâches diverses - et d'un cercle de décision. On leur demande de donner, grosso modo, neuf heures par mois au bénéfice de la vie en commun.

La famille Gueppe-D'Eer

Alain D'Eer, cinéaste, habite un condo avec sa compagne, Eveline Gueppe, gestionnaire de coopérative. Les deux enfants de cette dernière, Matéo, 9 ans, et Josua, 6 ans, vivent la garde partagée, et leur papa, Cyprien, réside aussi à Cohabitat Québec.

«Je surfe d'une surprise heureuse à une autre, rapporte Alain D'Eer. Je suis admiratif devant l'intelligence de l'organisation, des tiroirs au conseil d'administration en passant par l'incroyable atelier de menuiserie, où on trouve de l'aide, en plus, parfois...

- Ça demande beaucoup de votre temps?

- Je donne deux ou trois heures par semaine, plus l'entretien de la patinoire, mais ça, j'aime ça! Ces jours-ci, je travaille à la cuisine. Je m'occupe aussi des relations publiques.»

Le couple Vaillancourt-Rochon

Maryse Vaillancourt, historienne de l'architecture, et Jean Rochon, juriste à la retraite, habitent ensemble une maison de ville.

«C'est très agréable de connaître ses 40 voisins ! souligne Jean. Et d'avoir une porte où aller cogner pour demander: "T'aurais pas une tasse de sucre ?" J'aime beaucoup la présence des enfants dans notre environnement, ainsi que d'aller prendre une bière à la maison commune ou de faire des tâches ensemble.»

M. Rochon fait partie de l'équipe de déneigement et du comité juridique.

Maryse, de son côté, a trouvé à Cohabitat Québec une belle occasion de s'engager dans un projet de construction. «Je représentais les clients, au comité de chantier. Maintenant, je m'occupe des petits problèmes des maisons neuves. Je fais l'intermédiaire entre les propriétaires et les sous-traitants. En ce moment, j'y consacre 25 bonnes heures par semaine!»

Photo Caroline Grégoire, Le Soleil

Guillaume Pinson

Guillaume Pinson, professeur de littérature à l'Université Laval, habite une maison de ville avec sa compagne, Marie Lagier, et leurs deux enfants, Henri, bientôt 8 ans, et Raphael, 5 ans.

«À Cohabitat Québec, nous avons traversé ensemble un long processus, relate-t-il. Nous avons défini nous-mêmes notre habitation, de la conception à la livraison. Ça nous donne un sentiment très fort d'appartenance à ce lieu et à cette communauté. Quand nous avons reçu les clés, le 15 juin dernier, nous étions sous le choc, euphoriques.»

M. Pinson a pour mandat les relations publiques de Cohabitat Québec, en plus de participer aux équipes de travail. Il dit consacrer au plus trois heures par semaine à ses tâches.

Photo Caroline Grégoire, Le Soleil

Le choc des cultures

Le cohabitat, né au Danemark dans les années 60, est un regroupement de ménages qui s'investissent dans le design de leur futur quartier, jouant en quelque sorte le rôle du promoteur.

Aux États-Unis, le concept a pris racine dans les années 80, et on y compterait maintenant une centaine de réalisations du genre. «Au Danemark, 20% des nouveaux ensembles résidentiels sont de ce type», affirme Guillaume Pinson, de Cohabitat Québec.

Il a fallu une certaine créativité au notaire Serge Allard pour donner ses lettres juridiques à la première mouture québécoise, et rédiger, fort de 30 ans de pratique et d'enseignement en droit de la copropriété, la déclaration de copropriété de Cohabitat Québec.

«Au départ, mes clients adhéraient à une coopérative de solidarité, relate-t-il, et ils auraient pu se loger sous cette forme. Mais chacun voulait être propriétaire de son unité, tirer profit et toucher la plus-value, au moment de la revente ou du décès, comme tout propriétaire ordinaire. Cependant, la coopérative à capitalisation, ça n'existe pas au Québec! C'était le choc entre les valeurs de la coopérative et les valeurs du libre marché.

«D'un autre côté, la loi sur les condos a plus de 40 ans. C'est un classique de droit civil, ça rassure les banquiers. Le régime "copropriété divise" pouvait répondre à deux requêtes des clients: être propriétaire et pouvoir obtenir individuellement une hypothèque.»

La question devenait donc: est-ce que la copropriété divise est viable dans un esprit de coopérative? Et: jusqu'où peut-on personnaliser la déclaration de copropriété?

Le fameux principe d'égalité, en coopérative (une personne, un vote), n'est pas autorisé par le Code civil en copropriété, où le propriétaire d'un appartement-terrasse de 1,2 million pèse plus lourd que celui qui détient un appartement à 300 000$. «Les deux approches entraient en contradiction flagrante, souligne Me Allard. La discussion a porté en grande partie là-dessus: étaient-ils prêts à renoncer au principe coopératif de l'égalité? La réponse a fini par être oui, non sans déchirement.»

Cohabitat Québec est ainsi devenue une entité à deux têtes, avec un syndicat des copropriétaires qui confie une grande part de la gestion à une coopérative.Sociocratie

Les résidants de Cohabitat Québec pratiquent la sociocratie, un mode de gouvernance en émergence prisé dans les écocommunautés. Inventée par l'ingénieur Gerard Endenburg, aux Pays-Bas dans les années 70, dans une entreprise d'électronique, la sociocratie fonctionne avec des cercles de concertation et de décision qui rejoignent toutes les personnes de l'organisation, dans un but de transparence et d'efficacité. «On s'assure que tout le monde comprend, on traite les objections s'il y a lieu, et ensuite, la mise en application se fait rapidement», résume Maryse Vaillancourt, membre de Cohabitat Québec.

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