Encore aujourd'hui, l'insertion d'une habitation contemporaine dans un quartier existant provoque des réactions. C'est le cas notamment du Marie-Anne, un petit immeuble en copropriété aux lignes nettes construit récemment sur un lot en coin du Plateau-Mont-Royal. Les promoteurs ont reçu quelques critiques. Ils ont même découvert, un matin, que des oeufs avaient été projetés sur l'édifice. Comment marier le nouveau avec l'ancien? Une architecture actuelle doit-elle reproduire celle du passé pour s'intégrer? Qu'en est-il de la liberté de création? Des spécialistes ont répondu à ces questions. Un reportage de Lucie Lavigne.

Il y a d'abord eu la publication d'un texte d'opinion, dans le journal Métro au sujet du nouvel immeuble en copropriété à l'intersection des rues Marie-Anne et Garnier, à Montréal. Une «horreur», pouvait-on lire. «Je ne peux pas croire qu'il n'existait pas des options qui auraient permis de respecter l'intégrité architecturale du coin», ajoutait l'auteur.

Quelques jours plus tard, les promoteurs et constructeurs de l'édifice ont reçu quelques reproches. «Ça pas d'allure de construire quelque chose comme ça!» a lancé un automobiliste.

«Mais dernièrement, lorsque nous avons invité les gens à visiter les appartements, ils ont été ravis de découvrir la qualité des espaces, l'abondance de lumière naturelle et notre souci des détails d'aménagement», explique Alain Brunet, vice-président de la firme espaceréalisation. Amateurs d'architecture contemporaine, les deux entrepreneurs occupent déjà l'un des quatre appartements. Les trois autres, d'une superficie de 525 pi2 ou de 1200 pi2, sont offerts à partir de 225 000$.

Les associés précisent qu'ils n'ont jamais eu l'intention de nuire au caractère de l'un des édifices contigus, doté de deux fenêtres en baie, couvertes de cuivre récemment décapé. Il n'était pas non plus question de copier ses formes traditionnelles.

«En 2010, il est trop coûteux de reproduire, comme il y a 100 ans, des toits mansardés et de l'ornementation en bois tourné ou en cuivre. Sans compter qu'il faut des artisans qui possèdent le savoir-faire pour ce genre de travaux», fait remarquer Alain Brunet.

L'architecte du projet ajoute, en insistant, qu'il est primordial de respecter le patrimoine existant. «Mais la protection des anciens bâtiments n'empêche aucunement de réaliser des constructions neuves dont l'architecture témoigne de son époque et du mode de vie actuel des occupants. Nous ne vivons plus comme en 1910», affirme Alexandre Blouin, architecte associé chez Blouin Tardif architecture-environnement.

Ce dernier a préféré réinterpréter certaines caractéristiques de l'édifice voisin, plutôt que de les imiter. D'où la présence d'une imposante porte-fenêtre «accordéon» dans les deux grandes unités, situées au premier et au deuxième étages de l'édifice. «Ces larges ouvertures rehaussent la façade, du côté des pièces de vie, à la manière des deux fenêtres en baie de l'immeuble adjacent», précise l'architecte.

Et qu'en pense la propriétaire dudit triplex? «Je suis contre le fait qu'il n'y ait pas d'harmonie pour les nouvelles constructions dans un quartier résidentiel. La Ville de Montréal devrait adopter une réglementation sévère ou protectrice du patrimoine», croit-elle.

Du côté de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Claude Laurin, chef de division à la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises, atteste que le projet Marie-Anne est conforme au règlement d'urbanisme et à celui sur les plans d'implantation et d'intégration architecturale (PIIA). «S'il soulève quelques réactions, c'est peut-être en raison de sa forte présence à une intersection. C'est aussi un immeuble épuré, plutôt fermé et contrastant, ce qui peut frapper certains passants», analyse Claude Laurin qui ajoute que l'arrondissement encourage l'architecture contemporaine en matière de construction et d'agrandissement. «Mais l'innovation suscite plus souvent la critique que les projets standard qui attirent rarement l'attention», dit-elle.

Enfin, Jacques Lachapelle, professeur titulaire à l'École d'architecture de l'Université de Montréal, souligne que tout en respectant l'existant, il importe de s'ouvrir à l'expression architecturale au temps présent. «Les architectes, dit-il, doivent avoir la liberté de proposer des choses différentes tout en gardant une sensibilité envers le cadre bâti. Une architecture contrastante peut même mettre en relief les caractéristiques d'un bâtiment ancien situé à proximité.»