Comment réussit-on une insertion architecturale à Montréal? Une nouvelle habitation doit-elle se confondre avec les immeubles anciens? L'architecture contemporaine est-elle irrespectueuse du patrimoine? Et qu'en est-il de l'innovation? Plusieurs experts nous donnent leur point de vue.

Jacques Lachapelle

Professeur titulaire à l'École d'architecture de l'Université de Montréal.

«Pour certains, la modernité demeure encore associée au bulldozer et à la destruction de quartiers. Mais en marge de cette approche radicale, qui remonte à la première moitié du siècle dernier, une réflexion a été portée sur la question de l'insertion. Les architectes se sont demandé comment intégrer des constructions nouvelles tout en observant l'environnement. Une bonne intégration exige un dialogue entre le nouveau et l'ancien. Bien sûr, il faut sauvegarder les oeuvres du passé qui le méritent - tous les bâtiments anciens ne sont pas égaux -, mais nous devons aussi saluer les architectes contemporains qui tentent d'insuffler un peu d'innovation dans une ville. Ceux-ci devraient avoir la chance de présenter des projets différents. Certains seront plus forts que d'autres, mais Montréal n'est pas constitué que de chefs-d'oeuvre!»

Danita Rooyakkers

Conceptrice chez BUILD. Elle réalise de l'insertion architecturale à Montréal depuis 15 ans.

«Plusieurs personnes ont une idée préconçue de l'allure idéale d'une maison. Ce qui peut expliquer leur étonnement devant une habitation contemporaine. Sans compter qu'ils entretiennent bien souvent un rapport intime avec la construction résidentielle. À l'inverse, ils semblent moins touchés par la modernité des édifices commerciaux et institutionnels.»

Stéphane Rasselet

Architecte associé à l'agence _naturehumaine.

«Règle générale, nous explorons librement de nouvelles solutions sur la façade arrière d'une habitation, à Montréal. Mais plusieurs arrondissements demeurent très conservateurs dès que l'on intervient sur la façade avant. Une chose est sûre, il nous est difficile d'oser comme le font certains architectes européens, dont ceux des Pays-Bas, de l'Allemagne ou de la Belgique.»

Loukas Yiacouvakis

Architecte chez yh2.

«À Montréal, il est extrêmement difficile de modifier la façade d'un bâtiment existant. À moins que ce dernier soit situé dans un secteur mixte ou dépourvu de tout intérêt architectural. À l'inverse, dans le cas d'une construction neuve ou d'un agrandissement, certains comités consultatifs d'urbanisme incitent les architectes à innover. Dernièrement, celui de la ville de Mont-Royal nous a même demandé de pousser plus loin l'expression moderniste d'une propriété.»

Claude Laurin

Architecte et chef de division à la Direction de l'aménagement urbain et des services aux entreprises, à l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

«Nous encourageons l'architecture contemporaine en matière de construction neuve et d'agrandissement. D'abord, nous demandons aux concepteurs d'élaborer des plans en tenant compte des immeubles avoisinants et du caractère de la rue. Ensuite, nous évaluons leurs projets selon certains critères généraux, comme la largeur du lot, les reculs, l'implantation et la hauteur du bâtiment. Ensuite, nous analysons la composition de la façade et de ses différents éléments, comme les ouvertures et les matériaux (du parement, des encadrements, des corniches...). Nous ne rejetons pas d'emblée les matériaux hors du commun, tels le béton, l'acier ou la brique foncée. Nous laissons plutôt la chance aux concepteurs de mettre au point des solutions innovantes susceptibles de s'arrimer et d'enrichir le cadre ancien du Plateau-Mont-Royal.»

Dinu Bumbaru

Directeur des politiques d'Héritage Montréal.

«Nous ne sommes pas hermétiques à l'exploration architecturale. L'innovation fait aussi partie de nos valeurs et de nos critères d'évaluation. Mais faire un bâtiment en brique noire n'est pas forcément synonyme de créativité. À l'inverse, copier ne constitue pas une solution, car un quartier, même patrimonial, n'est pas uniforme. Et ce n'est pas en construisant des néomanoirs en toc que nous enrichissons notre patrimoine... Une meilleure communication entre les architectes et la population devrait être encouragée. Pourquoi ne pas favoriser un rapprochement avec des expositions sur le thème de l'insertion dans les maisons de la culture?»

Marie Lessard

Présidente du Conseil du patrimoine de Montréal et professeure à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.

«Pour bien des gens, le terme intégration renvoie au mimétisme et à la ressemblance. Mais une construction contemporaine doit révéler son époque, car les méthodes et les matériaux ont changé. Par exemple, il n'est plus nécessaire aujourd'hui d'avoir des fenêtres à petits carreaux, car il est possible d'installer de grandes surfaces vitrées. Par ailleurs, une habitation neuve, contrairement à un édifice extraordinaire, comme un musée, doit s'inspirer de ce qui l'entoure. L'innovation n'est pas une marque d'irrespect, mais elle exige du concepteur d'une propriété qu'il analyse le contexte. Les contraintes réglementaires peuvent même stimuler sa créativité!»