Voici un carnet de voyage captivant, à l'image du noble fil bleu qui relie l'humanité, aux quatre coins du monde, des débuts de l'agriculture à nos jours. Dans Indigo, périple bleu d'une créatrice textile, Catherine Legrand, auteure et photographe, nous entraîne, de village en village, des Amériques à l'Afrique, en passant par l'Asie et l'Europe de l'Est - deux années de pérégrinations -, au long d'un fil d'Ariane particulier, celui des mille et un visages des «plantes à bleu».

L'histoire de l'indigo - pigment colorant extrait de l'indigotier - se tisse avec celle des cultures humaines, sur la route des grandes caravanes de l'Asie centrale ou dans les colonies d'Amérique. Une histoire riche, mystérieuse aussi, de tout ce savoir-faire disparu. Quoique pas totalement: dans quelques fermes du Tamil Nadu (Inde), du Japon et d'ailleurs, on vit toujours au rythme du calendrier de l'indigo.

Un pigment invisible

Par un étrange caprice de la nature, le pigment qui bleuit les tissus - l'indican tiré de l'indigotier ou l'isatan B tiré du pastel - est invisible et insoluble dans l'eau. Les artisans du monde ont trouvé, chacun de leur côté, des recettes similaires pour activer ses propriétés colorantes: alcaliniser le bain de teinture (à la chaux, parfois additionnée de saké), y plonger le tissu et faire précipiter le pigment dans la fibre. Au sortir de la cuve, le textile est verdâtre. Il ne devient bleu qu'en séchant à l'air.

Le pigment bleu imprègne le linge de presque toutes les civilisations, comme en témoigne l'iconographie magnifique du livre: la somptueuse cape d'un prince aztèque (Nezahualpili), l'humble mouchoir de l'ouvrier, les nappes à carreaux de toutes les époques, les innombrables variétés de pagnes (pays Dogon), les jupes aux cent plis (minorités chinoises), les costumes ethniques vietnamiens, les kimonos... Dans l'Inde actuelle, on le trouve même en teinture à cheveux, à moustache ou à barbe.

Il se décline en bleu de travail, bleu militaire, bleu de paysan, bleu marine, bleu Krishna, bleu musulman, bleu turquin, bleu de Cologne, colorant aussi bien la langue que les coutumes.

Au XVIe siècle, la poudre d'indigo, provenant d'Asie, supplante la poudre de pastel, une production européenne moins concentrée en pigments. De fil en aiguille, l'exploitation des travailleurs dans les indigoteries indiennes mène à un moment historique: la révolte de l'indigo, en 1859, point de départ de la lutte du Mahatma Ghandi contre l'occupation britannique.

Premiers blue-jeans

En 1873, un commerçant de l'Ouest américain lance les salopettes et les pantalons en «serge de Nîmes», ou denim: les premiers blue-jeans. À peu près à la même époque, l'indigo chimique est synthétisé dans un laboratoire allemand, ce qui sonne le glas de l'indigo naturel.

Indigo, périple bleu d'une créatrice textile, de Catherine Legrand, éd. de la Martinière, 288 p., 69,95$