La semaine dernière, nous abordions la question de l’architecture résiliente, en lien avec les changements climatiques. Alors que les fortes précipitations printanières, conjuguées à un dégel rapide, ont encore une fois fait les manchettes, serait-il temps de repenser la façon de construire nos habitations au Québec ? Oui, répondent plusieurs experts.

Emmanuel Cosgrove est catégorique : « Pour les constructions neuves en banlieue ou à la campagne, on recommande carrément les maisons sur dalle. Creuser un sous-sol est à éviter », affirme ce spécialiste d’ÉcoHabitation, un organisme voué à la construction durable.

L’eau n’est jamais loin quand on creuse un sous-sol. C’est sûr qu’elle va monter. C’est comme aller sauter dans les flaques d’eau dans la cour d’école : il faut mettre des bottes de caoutchouc ; mais là, nos maisons sont en runnings.

Emmanuel Cosgrove, ÉcoHabitation

D’ailleurs, l’habitude de creuser un sous-sol est davantage un phénomène culturel qu’une nécessité technique, ajoute-t-il. « Cela n’a rien à voir avec le Code du bâtiment. »

« En théorie, c’est pour descendre sous le niveau du gel. Mais si on couche des panneaux d’isolant rigide sur le sol, on empêche le gel de descendre sous le bâtiment. On s’évite ainsi bien des problèmes et des réclamations d’assurance », souligne-t-il.

Les dommages par l’eau sont la première cause de réclamation en assurance habitation au Québec, a d’ailleurs rappelé le Bureau d’assurance du Canada en mars dernier, qui encourage les citoyens à prendre dès maintenant les mesures de protection appropriées.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Patrick Ranger, directeur général et cofondateur de la firme Belvédair

Patrick Ranger, de la firme Belvédair, préconise aussi la dalle de béton plutôt que le sous-sol. Non seulement pour ses vertus contre les infiltrations d’eau, mais également pour ses mérites environnementaux.

« Un sous-sol nécessite beaucoup plus de béton, un matériau très polluant. Selon nos calculs, il représente 70 % de l’empreinte carbone pour la durée d’une vie d’un bungalow, en incluant sa consommation d’énergie », dit-il. « C’est sûr qu’il faut en limiter la quantité. »

Cela dit, construire une maison sur une dalle n’est pas toujours la meilleure option, précise M. Ranger. « Dans le cas d’un terrain en pente, les travaux d’excavation et de remblai pour construire un talus ou un mur de soutènement seraient excessivement chers. »

Dans ces situations, la firme Belvédair préconise plutôt le rez-de-jardin, avec un côté enterré et un autre hors sol.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Deux maisons presque submergées par l’eau à Baie-Saint-Paul

Zones inondables

Autre précaution de base, ajoute Patrick Ranger : consulter tout d’abord les cartes de zones inondables, offertes aux hôtels de ville et sur le site Géo-Inondations du gouvernement du Québec. En cas de risque d’inondation, le premier niveau doit se situer au moins un mètre au-dessus du niveau d’une crue bicentenaire, c’est-à-dire survenue une fois au cours des 200 dernières années.

« Nous avons construit une maison près du lac Champlain. Pour la protéger, nous avons rehaussé le terrain pour la placer sur un podium. Les propriétaires ne pourront pas la rejoindre en cas de montée des eaux, mais ils vont la retrouver intacte », explique M. Ranger.

S’éloigner d’un cours d’eau ne suffit pas, poursuit-il. « Une rivière située dans une plaine peut sortir très loin de son lit. »

Les crues printanières de 2017 et 2019, qui ont forcé des évacuations dans plusieurs municipalités, ont d’ailleurs poussé Québec à réviser la délimitation des zones inondables.

En parallèle à cette révision, la Sécurité publique a entrepris en 2019 un grand chantier pour simuler différents scénarios complexes de catastrophes météorologiques. Les résultats pousseront les municipalités à renforcer la résilience de leurs quartiers et des résidences de leurs citoyens, affirme Isabelle Thomas, directrice du groupe de recherche AriAction.

« Chaque quartier peut avoir des enjeux différents, qui demandent des adaptations différentes. Est-ce que, dans certains cas, il faut abandonner l’utilisation du sous-sol ? Bien sûr que oui. Dans le cas de Sainte-Marthe-sur-le-Lac [dévastée à la suite de la rupture d’une digue en 2019], il est évident que les chambres pour enfants ne devraient plus être aménagées dans les sous-sols », croit-elle.

Dans le pire des cas, la relocalisation de certains quartiers complets devra être envisagée, ajoute la professeure à l’Université de Montréal.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Une digue a cédé en 2019 à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, provoquant d’immenses dégâts.

Débat de société

Que nos maisons soient de plus en plus menacées par l’eau ne doit pas nous étonner, affirme Gonzalo Lizarralde, professeur à l’Université de Montréal et auteur du livre Unnatural Disasters. « Dans le passé, les municipalités ont accepté la construction de maisons dans des zones à risque. Elles ont aussi bétonné et asphalté des écosystèmes qui servaient autrefois d’éponges devant les montées des eaux. »

Construire une maison résiliente à l’eau, « c’est la partie facile », ajoute-t-il. « On connaît la recette : surélever les maisons, pas de sous-sol, pas de panneaux électriques dans les parties basses, etc. La question difficile, c’est : quoi faire maintenant avec les maisons actuelles construites aux mauvais endroits ? »

D’éventuelles relocalisations rencontreront — avec raison, dit-il — une forte opposition de la population attachée émotivement à ses terres et à son patrimoine. De plus, construire de nouvelles maisons comporte aussi un coût environnemental.

« Cette question n’est pas un enjeu politiquement rentable, mais elle impose tout de même un débat de société », conclut M. Lizarralde.