Le verglas a chassé des milliers de Québécois de leur chez-soi pendant quelques jours, ce printemps. Ce nouvel épisode de météo violente devrait nous inciter à construire des maisons dotées d’une « enveloppe résiliente », affirment des experts.

De son propre aveu, Stéphanie Robillard-Sarganis a vécu « l’enfer » lorsque le verglas a provoqué une panne d’électricité de deux jours et demi dans son quartier de Saint-Eustache, au début d’avril. En quelques heures seulement, la température dans sa maison construite en 1975 a plongé sous les 10 °C.

« Nous avons dû dormir sous un tas de couvertures, avec notre tuque sur la tête », se remémore cette éducatrice spécialisée, mère de deux enfants d’âge primaire. « Nous aurions bien voulu aller nous réfugier ailleurs, mais nous avions contracté une gastro en famille. Nous n’avions pas d’eau chaude et la nourriture du frigo était dans la neige. »

Ce cas n’est pas unique. Au matin du 6 avril, près de 1,1 million de Québécois étaient privés d’électricité, ce qui a notamment incité la Ville de Montréal à ouvrir huit refuges d’urgence. Ce scénario risque de survenir plus souvent dans les prochaines années en raison des changements climatiques.

En effet, selon Hydro-Québec, ces bouleversements mettront son réseau à rude épreuve avec la végétation croissante, les incendies de forêt, les espèces envahissantes et les précipitations extrêmes. Ces perturbations provoqueront aussi des vagues de chaleur de plus en plus intenses, selon Ouranos.

Sans chauffage ni climatisation

En effet, Dame Météo ne frappe pas seulement en hiver. Presque chaque été, le mercure bat des records et fait des victimes. « À Montréal, la vague de chaleur de 2018 a causé la mort de 65 personnes », rappelle Dominique Thomas, chercheuse en génie civil à l’Université de Sherbrooke (UdeS).

Bref, en cas de panne de courant, nos maisons se transforment trop souvent en glacières en hiver et en fours en été.

C’est pourquoi, plaident les spécialistes, il devient impérieux de construire des maisons et des immeubles « résilients », capables de rester habitables pendant les canicules ou les froids hivernaux, sans chauffage ni climatisation.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation

La clé se trouve dans la qualité de l’isolation et dans l’étanchéité impeccable de la maison, explique Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation, un organisme voué à la promotion de la construction durable.

« La température dans une maison sans fuites d’air, dotée d’un vitrage triple et de murs épais avec une cote d’isolation de R49 ne variera que de 2 °C en trois jours lors d’une panne de chauffage ou de climatisation, affirme-t-il, études à l’appui. L’ensoleillement et la chaleur dégagée par les occupants permettront de récupérer les degrés perdus durant une nuit d’hiver. »

Pour illustrer son propos, M. Cosgrove fait l’analogie entre une bouteille thermos et une cafetière filtre. « Le thermos va conserver le café chaud longtemps. La cafetière filtre doit continuellement rester allumée parce que la chaleur s’échappe par la vitre de la carafe », explique-t-il.

Une question d’argent

Cette efficacité accrue augmente les coûts de construction, reconnaît Emmanuel Cosgrove. « Mais cet argent sera vite récupéré en coûts d’exploitation », ajoute-t-il. Écohabitation dispose d’ailleurs d’un catalogue de maisons en kit, dites « passives », dont les coûts de chauffage se réduisent à environ 1000 $ par année.

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Écohabitation propose des maisons en « kit », comme celle-ci, qui appartient à Emmanuel Cosgrove.

Les consommateurs ne sont cependant pas prêts à payer pour cette qualité, se désole l’entrepreneur montréalais Simon Gareau, de la firme Devauban, spécialisée dans la construction de plex à faible consommation d’énergie. « Quand je parle d’un projet certifié LEED, tout le monde part en courant. Les gens ont besoin de voir. Ils préfèrent mettre leur argent sur de plus beaux comptoirs plutôt que dans ce qu’il y a dans les murs », souligne-t-il.

Les règles de financement hypothécaire jouent contre la construction de qualité supérieure, a constaté pour sa part Patrick Ranger, directeur général de la firme Belvedair.

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Patrick Ranger, directeur général et cofondateur de Belvedair

Une isolation supérieure n’est pas prise en compte dans la grille d’évaluation d’une maison ; le surcoût n’est donc pas financé par les banques. Si ça coûte 50 000 $ de plus, les acheteurs doivent sortir cet argent-là de leurs poches dès l’achat.

Patrick Ranger, directeur général de la firme Belvedair

Pour rendre la facture plus digeste, les architectes de Belvedair ont cherché où mettre l’argent « là où ça compte », dit Patrick Ranger. Leur solution : une fenestration thermos triple et une isolation des murs réduite à R33 — tout de même 35 % supérieure à la norme Novoclimat.

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Il est plus rentable de mettre son argent sur des fenêtres de qualité.

« La perte de chaleur, sur une maison typique, provient à 60 % des fenêtres et à 12 % des murs. Un vitrage thermos triple diminue, à lui seul, cette perte à 40 %. À dollar égal, il est donc plus rentable de mettre l’argent sur des fenêtres de qualité », explique M. Ranger.

Stéphanie Robillard-Sarganis aimerait bien posséder une telle maison, dit-elle, « mais ce ne sera pas possible avec [son] salaire d’éducatrice ».

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L’opération « Deep Energy Retrofit » consiste à ajouter une seconde enveloppe isolante à l’extérieur ou à l’intérieur de la maison.

Colmater les failles

Comment alors peut-on améliorer la résilience d’un bungalow des années 1970, par exemple, dont les murs extérieurs étaient construits à l’époque en simples colombages de 2 x 4 ? Plusieurs experts prônent une opération appelée en anglais « Deep Energy Retrofit » qui consiste, en gros, à ajouter une seconde enveloppe isolante à l’extérieur ou à l’intérieur de la maison. Selon l’organisme Retrofit Canada, située à Edmonton, une telle opération peut augmenter de 70 % l’efficacité énergétique d’une maison et réduire ses émissions de CO2 de jusqu’à 400 tonnes par année.

« Dans un monde idéal, c’est la meilleure des solutions, affirme Dominique Derome, de l’UdeS. Mais, de manière réaliste, peu de propriétaires peuvent investir autant d’argent pour refaire leur revêtement extérieur ou pour réduire leurs pièces intérieures. »

  • La bâtisse d’origine, avant l’opération « Deep Energy Retrofit »

    PHOTO FOURNIE PAR RETROFIT CANADA

    La bâtisse d’origine, avant l’opération « Deep Energy Retrofit »

  • La bâtisse après !

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    La bâtisse après !

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Selon cette ingénieure, un premier gain d’efficacité peut être rapidement obtenu par une meilleure isolation du toit, par des fenêtres de qualité, mais surtout par une chasse aux fuites. « Les bâtiments datant d’avant 1990 ne sont pas très étanches. On peut trouver facilement les failles par un test d’étanchéité. En colmatant les trous autour des fenêtres et des murs, on obtient un meilleur confort immédiatement. »

Isabelle Thomas, directrice du groupe de recherche AriAction, suggère pour sa part que Québec instaure un programme à l’intention des propriétaires désireux d’améliorer la résilience de leur maison, notamment pour éviter l’« écogentrification ». « C’est évident qu’il faut les accompagner, par une aide technique et financière, dans ce processus », affirme la professeure de l’Université de Montréal.

Du logement social… et résilient

  • Place Griffintown intégrera les notions d’enveloppe résiliente.

    RENDU 3D FOURNI PAR DANIEL PEARL

    Place Griffintown intégrera les notions d’enveloppe résiliente.

  • La construction de Projet Griffintown est prévue d’ici deux ans. Au menu : isolation supérieure, ventilation naturelle, absence de ponts thermiques, etc.

    RENDU 3D FOURNI PAR DANIEL PEARL

    La construction de Projet Griffintown est prévue d’ici deux ans. Au menu : isolation supérieure, ventilation naturelle, absence de ponts thermiques, etc.

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Plusieurs projets de logement social intègrent les notions d’enveloppe résiliente, affirme Emmanuel Cosgrove, de l’organisme Écohabitation. « C’est une bonne chose puisque c’est l’État qui paie le chauffage », dit-il.

L’enveloppe résiliente dans les logements sociaux permet aussi aux personnes les plus fragiles d’éviter les refuges surpeuplés en cas de panne de courant, hiver comme été, souligne Daniel Pearl, architecte montréalais derrière le projet de la Place Griffintown.

Cet immeuble, dont la construction est prévue d’ici deux ans, intégrera les notions les plus innovantes de l’enveloppe résiliente : isolation supérieure, ventilation naturelle, végétation extérieure, absence de ponts thermiques, etc. « Mon objectif est que la température se maintienne entre 15 et 30 °C dans les logements pendant 72 heures, sans électricité », résume M. Pearl.