Il n’aura échappé à personne que le chant des sirènes régional s’est fortement intensifié aux oreilles des urbains, qui sont légion à y répondre. Ayant lui-même récemment fait le grand saut, le journaliste Yvon Laprade s’est lancé à la rencontre de ceux qui ont troqué les artères des métropoles pour les sentiers sinueux des villes et villages, en en profitant pour sonder les acteurs politiques et économiques au cœur du mécanisme. Aussi, il livre de très précieuses recommandations pour quiconque souhaite échafauder sa Grande évasion – titre du nouvel ouvrage où il a consigné ses recherches.

Tels des monarques en quête de nouvelles contrées accueillantes, nombre de citadins québécois ont mis les voiles vers la campagne, une migration accélérée par la situation pandémique, étouffante en milieu urbain. De l’Estrie à la Gaspésie, de la Mauricie à la Côte-Nord en passant par les Îles-de-la-Madeleine, Yvon Laprade a sillonné les chemins de traverse de la province pour tendre le micro à ceux qui ont fait le choix de s’établir loin des néons nocturnes et des aires bétonnées. La grande évasion nous propose ainsi de découvrir une vingtaine de migrateurs, issus du commun des mortels, comme ce couple parti s’établir à Longue-Rive, à mille lieues de son berceau de Saint-Jean-sur-Richelieu, mais aussi des personnalités qui ont épousé un petit coin de pays, comme Richard Séguin. D’autres, issus d’horizons encore plus lointains, de la Provence ou de la Chine, racontent pourquoi ils ont choisi un foyer québécois extra-urbis.

PHOTO OLI CROTEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Une des histoires abordées dans le livre : l’installation de MC Gilles dans une maison à Sainte-Anne-de-la-Pérade.

Par la bande, sont également abordés les défis des régions pour polir leur pouvoir d’attraction, les initiatives des municipalités et organismes locaux, le dynamisme des jeunes artistes et entrepreneurs, et un état des lieux du marché immobilier décortiqué par des courtiers. Maillées ensemble, les histoires personnelles et les questions de la mutation des régions forment un tout informatif et documenté, tout en gardant une dimension humaine.

C’est un livre, mais je voulais aborder la région sous la forme d’un grand reportage, avec des constats, des questions, sans avoir la prétention d’avoir des solutions toutes faites ni dicter comment tout se passe. C’est une base pour une discussion.

Yvon Laprade, auteur

Au gré de ses rencontres régionales caractérisées par une large diversité, du boulanger au biologiste, a-t-il perçu un dénominateur commun à ceux qu’il a interrogés ? « La plupart des gens à qui j’ai parlé disaient spontanément qu’ils avaient envie d’explorer quelque chose de nouveau dans leur vie. Certains y voyaient un potentiel de développement de leurs idées. Aussi, des jeunes familles peuvent se trouver une propriété à un coût plus intéressant qu’à Montréal, avec un terrain, de l’espace et une qualité de vie », souligne Yvon Laprade, brandissant l’exemple du jeune couple installé à Longue-Rive, sur la Côte-Nord, passionné de plein air, assumant l’éloignement par rapport à son entourage ; ou encore celui d’une ex-fonctionnaire de Gatineau qui a profité d’une rupture amoureuse pour mettre le cap sur les Îles-de-la-Madeleine.

Tuyaux pour aspirants régionaux

En tant que pur produit du terroir montréalais, élevé à l’ombre des briques du Sud-Ouest industriel, Yvon Laprade a pu lui-même expérimenter une implantation en région en 2019… et les défis d’une telle démarche, à l’heure de chercher domicile à Saint-Élie-de-Caxton. « On a vécu plusieurs péripéties, tu ne comprends pas toujours les codes de vie. Et les rénovations, les petits mécanismes, la question de l’eau potable, j’étais un peu comme un néophyte sur ces questions-là, j’ai beaucoup appris », lance-t-il. Un apprentissage dont il partage les fruits au gré de son ouvrage, disséminant de précieux conseils destinés à ceux qui caressent le même projet, de l’intégration sociale dans ce nouvel environnement à la question du financement en passant par celle de la connexion internet.

Même s’il avoue ne pas avoir de boule de cristal sur son bureau, le journaliste entrevoit que ce mouvement, sans parler d’exode massif, n’est pas sur le point de s’atténuer dans les prochaines années, surtout au vu du nombre croissant de jeunes candidats prêts à planter leur drapeau en région. « Les régions apparaissent moins comme un obstacle éloigné pour bien des jeunes. On ne fuit pas la ville, c’est juste que les régions semblent plus proches de Montréal qu’auparavant, il y a une meilleure compréhension des enjeux, des moyens de communication, de télétravail. Pour certains, c’est un grand terrain de jeu », conclut-il.

Trois commandements pour un exil gagnant

Nous avons demandé à l’auteur le trio de conseils qu’il donnerait à un candidat qui aimerait s’installer en région. Bien d’autres sont à collecter dans son ouvrage.

Dans une région inconnue, tu n’emménageras point

« Il faut prendre le temps de s’informer et de savoir si la région où l’on veut vivre nous convient vraiment, en évitant d’acheter une maison sur un coup de foudre. Quand tu pars de Montréal pour la campagne, tout est blanc, tout est beau, il n’y a pas de trafic, c’est magique. Mais il faut prendre garde à ne pas se laisser influencer par une maison sur le bord d’un lac sans réfléchir, considérer l’environnement, et se demander pourquoi on veut aller là. »

Des installations sanitaires, tu creuseras la question

« Ça semble banal, mais on fait souvent évaluer une propriété pour le bâtiment, mais il faut vraiment vérifier l’état des installations sanitaires, la question des fosses septiques et des puits artésiens, car cela peut entraîner des dépenses importantes. »

À reconfigurer tes déplacements, tu t’attendras 

« Si tu vis sur le Plateau ou dans Hochelaga, tu prends le métro, le vélo, tu marches… en campagne, ça prend absolument une voiture, parfois deux, et même s’il y a moins de bouchons de circulation, on se déplace souvent et il faut évaluer combien de temps ça prendra pour aller du point A au point B. Pour avoir accès à certains services, cela peut prendre 20, 30, 40 minutes… »

La grande évasion

La grande évasion

Éditions La Presse

240 pages