L’ancienne demeure de Louis-Hippolyte La Fontaine a retrouvé sa prestance et se dresse fièrement à l’ombre de gratte-ciels, au centre-ville de Montréal. Sauvegardée grâce aux efforts acharnés de défenseurs du patrimoine en 1987, laissée à elle-même pendant une longue période puis restaurée avec soin, elle attend que s’écrive le prochain chapitre de sa longue et fascinante histoire.

Sa préservation marque subtilement le paysage très urbain dans lequel elle s’intègre. Elle fait partie intégrante du complexe YUL centre-ville, qui comprend deux tours d’habitation de 38 étages surplombant le boulevard René-Lévesque Ouest, un immense jardin, ainsi que des maisons en rangée, avenue Overdale. Ses pierres grises ont dicté la coloration des nouveaux immeubles qui l’entourent désormais. Son sort est toutefois toujours en suspens.

« On voit que les dossiers ne se règlent pas en claquant des doigts et que cela peut prendre des décennies », constate Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal. « On n’est certainement pas dans l’enfer des années 1970, où la démolition était le mot d’ordre. Aujourd’hui, c’est souvent dans la succession des usages que réside le défi, pour trouver celui qui est adéquat. »

Découverte à point

Il se souvient de l’appel qu’il a reçu, en 1987, pour l’alerter. Robert Lemire, un historien réputé qui travaillait au Centre canadien d’architecture, estimait qu’une maison vouée à la destruction était vraisemblablement celle de Louis-Hippolyte La Fontaine, qui a dirigé, avec Robert Baldwin, le premier gouvernement responsable du Canada-Uni. La demeure, construite dans les années 1830, est l’une des plus anciennes dans l’île de Montréal.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le bâtiment patrimonial a servi d’inspiration dès la conception du complexe YUL centre-ville, qui comprend deux tours d’habitation de 38 étages surplombant le boulevard René-Lévesque Ouest, un immense jardin, ainsi que des maisons en rangée, avenue Overdale.

« Cela a été une découverte tout à fait fortuite et c’est à ce moment-là qu’on est intervenus auprès de la Ville de Montréal pour demander qu’un statut lui soit attribué, précise-t-il. Sinon, le zonage prévoyait de tout raser pour construire des tours. Des tours ont tout de même été bâties, mais la maison de La Fontaine n’a pas été démolie comme le reste.

Cette maison est un témoin réel des évènements de 1849, parmi lesquels il y a eu l’incendie du parlement, qui était à Montréal, place D’Youville. Elle rappelle que ces évènements n’étaient pas juste confinés dans le Vieux-Montréal et ont embrasé la ville, parce que les émeutiers se sont répandus et ont fait des ravages un peu partout.

Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal

Les manifestants s’en sont pris à la maison de Louis-Hippolyte La Fontaine parce que ce dernier avait réclamé que les citoyens francophones du Bas-Canada ayant subi des pertes lors de la rébellion de 1837-1838 soient indemnisés au même titre que les citoyens du Haut-Canada. Le politicien, qui a défendu l’usage du français en Chambre par les élus du Canada-Uni, serait parvenu deux fois à échapper à des assauts perpétrés contre sa demeure.

En 1988, la maison a obtenu le statut de monument historique, puis est tombée en dormance. Toutes les demeures autour ont été démolies, et rien de ce qui se trouvait à l’intérieur n’a pu être rescapé, déplore Dinu Bumbaru. Abandonnée, la résidence a fait les manchettes, en 2001, lorsqu’elle a été occupée par des squatters.

PHOTO FOURNIE PAR MENKÈS SHOONER DAGENAIS LETOURNEUX ARCHITECTES

Comme le démontre cette photo prise en 2001, la résidence avait gagné au fil du temps un étage mansardé, afin de devenir une maison de chambres. Des graffitis enlaidissaient sa façade.

« Il faut saluer le revirement de situation parce que la maison a été dans les limbes pendant des décennies, jusqu’au transfert de propriété à l’actuel promoteur, dit-il. La maison a fait l’objet de travaux assez méticuleux basés sur des hypothèses scientifiques intéressantes parce qu’il restait très peu de traces de ce qu’il y avait à l’origine. »

Au cœur du projet YUL

L’obligation de restaurer la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine faisait partie des conditions imposées par la Ville de Montréal afin d’accorder un permis pour la construction du complexe YUL centre-ville.

« On a respecté notre engagement, c’est sûr, mais on l’a fait en dépassant toutes les attentes, de façon à atteindre un résultat de classe mondiale », indique Vincent Kou, chef des investissements et du développement du Groupe Brivia, promoteur du YUL centre-ville avec le Groupe Tianco.

« On tenait à redonner à la communauté une maison qui fait partie du patrimoine montréalais et qui a une valeur historique importante pour l’ensemble de la société canadienne et québécoise », précise-t-il.

La résidence, devenue au fil du temps une maison de chambre, avait gagné un étage mansardé. À la suite d’un long processus, elle a été restaurée de façon à retrouver l’allure qu’elle avait lorsque Louis-Hippolyte La Fontaine l’a habitée, de 1849 jusqu’à sa mort, en 1864.

« Pour Kheng Ly, le président du Groupe Brivia, la présence de la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine faisait partie des raisons pour lesquelles il avait acheté le terrain », révèle Anik Shooner, architecte associée principale de Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes, l’agence responsable du projet. « Depuis le tout début, c’était clair que cette maison-là serait conservée et restaurée. Il aime Montréal et il tient à faire des projets qui seront un plus pour la ville. »

  • La maçonnerie était en très mauvais état. Les pierres ont été retirées, numérotées, puis nettoyées pour enlever les graffitis.

    PHOTO FOURNIE PAR MENKÈS SHOONER DAGENAIS LETOURNEUX ARCHITECTES

    La maçonnerie était en très mauvais état. Les pierres ont été retirées, numérotées, puis nettoyées pour enlever les graffitis.

  • La maison Louis-Hippolyte-La Fontaine a été restaurée avec soin et a retrouvé l’allure qu’elle avait lorsque le politicien l’a habitée, de 1849 jusqu’à sa mort, en 1864. Rien ne subsiste, à l’étage, de son illustre passé. L’espace, très éclairé, présente toutefois un grand potentiel.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    La maison Louis-Hippolyte-La Fontaine a été restaurée avec soin et a retrouvé l’allure qu’elle avait lorsque le politicien l’a habitée, de 1849 jusqu’à sa mort, en 1864. Rien ne subsiste, à l’étage, de son illustre passé. L’espace, très éclairé, présente toutefois un grand potentiel.

  • Le sous-sol possède le cachet d’une cave ancienne sans en avoir les inconvénients. Entièrement restauré, l’espace est bien éclairé et s’avère confortable.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Le sous-sol possède le cachet d’une cave ancienne sans en avoir les inconvénients. Entièrement restauré, l’espace est bien éclairé et s’avère confortable.

  • Dans le sous-sol, une porte mène au stationnement intérieur du complexe YUL centre-ville. Trois places sont réservées aux propriétaires de la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine. D’autres sont disponibles au besoin.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Dans le sous-sol, une porte mène au stationnement intérieur du complexe YUL centre-ville. Trois places sont réservées aux propriétaires de la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine. D’autres sont disponibles au besoin.

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Les travaux se sont échelonnés sur six ans. « Cela a été un grand défi d’intégrer des détails qui assureraient une grande pérennité à cette maison sans la défigurer, fait remarquer Mme Shooner. On n’a pas fait la toiture tel que ça se faisait à l’époque. On a mis des membranes en dessous pour s’assurer que c’était bien étanche. La maçonnerie était tellement en mauvais état qu’on a enlevé les pierres, on les a numérotées, on les a nettoyées pour enlever les graffitis, mais on a quand même conservé les marques de balles tirées pour essayer d’assassiner Louis-Hippolyte La Fontaine. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

De l’espace a été donné à la maison Louis-Hippolyte-La Fontaine pour qu’elle respire. À côté, dans une vaste section du terrain, des pommetiers ont été plantés pour rappeler le verger dans lequel elle se trouvait, à l’origine.

La maison, entièrement restaurée, a été dévoilée en grande pompe en septembre 2020. Elle se trouve toujours sur le marché de la revente, au prix de 5,9 millions de dollars (taxes en sus). Son intérieur n’a pas été complété afin de permettre aux futurs acquéreurs de lui donner la vocation désirée, qu’elle soit publique, pour en faire un musée par exemple, ou privée.

Lisez notre texte sur la maison

Dinu Bumbaru souhaiterait qu’une attention soit accordée aux propriétés anciennes lorsqu’elles sont mises en vente. Il fait un lien avec la maison Buchanan, construite en 1837 rue Sherbrooke Est, qui a aussi éprouvé des difficultés.

« On devrait peut-être voir le rôle des gens en patrimoine dans les autorités publiques, notamment à la Ville de Montréal, suggère-t-il. Est-ce que ce rôle correspond à une facilitation, est-ce qu’il y a des ententes ou est-ce une vente simplement sur le marché ordinaire ? Ou est-ce qu’une espèce de fiducie pourrait être impliquée pour s’assurer qu’il y a un bon arrimage entre les occupants et les bâtiments ? C’est souvent cela, le défi, en patrimoine. C’est de s’assurer que les immeubles soient bien habités. Il y a peut-être une façon d’aider à travers autre chose que des mécanismes d’autorisation de permis. »