Elles semblent souvent un rêve inaccessible, et les voir apparaître sur le marché de la revente rend soudainement ce rêve plus tangible… ou l’inverse. Regard sur le marché des maisons dites d’architectes, un monde où le pied carré ne fait pas foi de tout.
Inna Pan et son conjoint ont acheté l’an dernier un appartement en copropriété fraîchement rénové à Montréal. Installés depuis peu au Québec, ils ignoraient tout du marché immobilier. Et de la réputation de la firme d’architectes derrière cette propriété. « Je suis une personne qui ferait ce genre de choses, si j’aime le travail d’un architecte et que je vois qu’il développe un projet, je serais totalement partante ! lance Inna Pan. Mais j’étais nouvelle, je ne savais pas et j’ai été chanceuse. »
Leur appartement, situé face au parc Laurier, dans Le Plateau-Mont-Royal, a été dessiné par Pelletier de Fontenay, une firme montréalaise reconnue, lauréate de plusieurs prix. Avant le nom, donc, c’est l’aménagement de l’espace qui a séduit la propriétaire. « À la minute où nous sommes entrés dans l’appartement, ç’a cliqué, raconte celle qui, à l’instar de son conjoint, travaille dans l’industrie du film. La lumière qu’il y a dans cette maison, je n’ai jamais rien vu de tel. J’ai immédiatement senti l’énergie circuler dans ce lieu. Je suis chinoise, je crois au feng shui. Puis, j’ai commencé à prêter attention aux détails. La symétrie, les poignées qui avaient été choisies, la façon dont l’appartement a été conçu pour y vivre, pas juste pour l’œil. »
La compétition était féroce. La propriété de 1750 pi2, affichée à un peu plus de 1 million de dollars, n’était sur le marché que depuis quelques jours et déjà, deux offres étaient sur la table. « Combien de fois tu tombes sur un projet comme celui-là ? C’est rare. Nous avons fait une offre et nous l’avons eue. »
Une rareté
La vente des propriétés signées par des architectes ou designers reconnus n’est pas toujours aussi rapide, mais selon Marie Champagne, courtier immobilier chez Engel & Völkers, qui représentait les vendeurs dans cette transaction, les délais de vente sont généralement courts, la vigueur générale du marché à Montréal aidant.
« Il y en a peu, sur le marché de la revente, de petits projets boutiques, observe celle qui s’est spécialisée dans la vente de ce type de propriétés. Un des premiers noms connus à faire de la vente de petits projets, c’est La Shed. Il y a quelques années, quand on vendait un produit de La Shed, il y avait toujours un petit buzz autour. Maintenant, il y a plein d’autres boîtes qui se sont fait connaître. »
L’intérêt des acheteurs, surtout chez les 25-45 ans, a grandi aussi depuis quelques années, selon elle. « J’ai une banque de clients qui sont à l’affût de ces produits-là. »
Une clientèle souvent prête à débourser davantage pour mettre la main sur une propriété aux qualités architecturales exceptionnelles. Et ce, dans différentes catégories de prix, observe le courtier immobilier Félix Jasmin, d’Engel & Völkers à Montréal. « On vend des condos de moins de 1000 pi2 à des gens qui sont sensibles à l’architecture autant que des maisons à 1 ou à 5 millions, indique-t-il. Dans toutes les catégories d’acheteurs, il y a aussi des gens qui n’y sont pas sensibles. »
Au-delà du pied carré
Comment établir le juste prix pour ce genre de résidences qui ont peu de comparables ? « Ce serait imprudent de se risquer à quantifier le pourcentage de valeur augmentée pour un produit d’architecte, affirme Félix Jasmin. Il y a assurément une prime au bon goût en général. »
Ce n’est pas une science au pied carré. On ne vend pas que de la brique et du mortier. On vend un produit unique, un mode de vie et une qualité de vie.
Marie Champagne, courtier immobilier chez Engel & Völkers
« Quand on est dans un espace qui est bien conçu et dans lequel il y a un souci du détail, ça change tout. Et c’est intemporel dans le temps. Ça va traverser les années. Quand je revends une propriété qui a été conçue par un architecte de qualité, il y a 10, 20 ou 30 ans, c’est comme si elle avait pu être faite hier. »
Ainsi, la superficie nette si déterminante en général dans la fixation du prix d’une propriété devient une donnée plus souple lorsqu’il s’agit d’espaces extrêmement bien conçus. Félix Jasmin croit qu’il est légitime de « payer une prime quand les espaces sont bien utilisés sans perte, sans aberration de corridor ».
« Avec des espaces qui sont très bien conçus, c’est sûr que le pied carré peut être optimisé et aller chercher une plus grande valeur. On ne parle plus seulement en termes de superficie nette, on parle de superficie soit perçue ou utile. Les deux font une grande différence. »
La qualité de la conception et les matériaux utilisés sont aussi un facteur déterminant du prix demandé, selon Melanie Clarke, courtière immobilière chez Sotheby’s dans les Laurentides. Depuis le début de l’année 2019, elle est chargée de la vente de La Héronnière, l’un des projets phares de l’architecte Alain Carle, érigée sur un terrain de 8,7 acres à Wentworth-Nord. Les vendeurs demandent actuellement 2 995 000 $ pour cette propriété construite en 2014, gagnante d’un Grand Prix du design en 2016 et certifiée LEED Or.
Ce n’est pas juste une propriété architecturale, c’est une propriété qui a été conçue avec des matériaux naturels [sans COV], dans un souci de santé. Il faut trouver un acheteur qui respecte ces concepts parce que construire une propriété comme celle-là, normalement, c’est plus cher.
Melanie Clarke, courtière immobilière chez Sotheby’s
Avec ses panneaux photovoltaïques et son chauffage à la biomasse, la résidence est aussi presque totalement autonome au point de vue énergétique.
Mme Clarke souligne que bien que le marché soit moins actif pour les propriétés dépassant les 2 millions dans les Laurentides, celle-ci a suscité beaucoup d’intérêt.
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Si elle constitue certainement un argument de vente, la simple signature d’un architecte connu ne suffit cependant pas pour attirer les offres d’achat. Pendant quelques années, Félix Jasmin et ses collègues ont tenté de vendre une résidence conçue par le réputé architecte québécois Roger D’Astous, à Estérel. Une propriété qui a fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux, mais qui a néanmoins été retirée du marché récemment, faute d’avoir trouvé preneur. « Il y a eu de l’intérêt. C’était une maison d’architecte, une maison signature. Tout dans l’architecture ne vieillit pas bien. Même si cette maison avait des qualités extraordinaires, c’était difficile à faire passer. »
D’autres maisons qui représentent aussi un défi à la vente, selon lui : celles qui relèvent plus de l’œuvre d’art que du milieu de vie. « Par exemple, des passerelles où on est très exposé sur une rue ou une ruelle, c’est fantastique si c’est une chambre d’hôtel pour un week-end, mais pour une maison, où on se lève le matin en robe de chambre, dépeigné, on n’a peut-être pas envie de faire coucou à ses voisins. Il y a plusieurs types de signatures architecturales et parfois, la composante artistique prend le dessus sur le côté pratique et fonctionnel. » Un aspect qui restera toujours au cœur des critères d’achat des acheteurs.