(Saint-Élie-de-Caxton) Prendre le temps de marcher dans les petites rues du village. Acheter son pain à la boulangerie Croûte que croûte. Jaser avec le monde, tout simplement, au Café brocante Victor.

À l’été 2020, le chanteur-compositeur Tire le coyote, Benoit Pinette de son vrai nom, a ressenti l’urgent besoin de s’éloigner de la ville pour aller respirer l’air de la campagne.

« On était en pleine pandémie. Ma blonde [Émilie Perreault] et moi, on s’est dit : “C’est le temps !” On avait besoin de rentrer dans les terres, on avait envie de grands espaces. »

Mais il leur fallait trouver un endroit à mi-chemin, « une espèce de compromis », pour tenir compte de leurs réalités géographiques respectives.

« On cherchait quelque part entre Québec et Montréal, explique-t-il. On s’est retrouvés à louer une maison de rang à Charette [en Mauricie]. »

Comme le hasard fait bien les choses, Benoit Pinette a rapidement été « repéré » par Jeannot Bournival, fidèle complice de Fred Pellerin, alors qu’il se trouvait avec ses enfants au casse-croûte du village voisin de Saint-Élie-de-Caxton.

« Jeannot faisait son jogging, se souvient-il. Il m’a envoyé un message texte me demandant pourquoi j’étais là. On se connaissait un peu, on fait le même métier. »

À partir de ce moment, une solide amitié s’est développée entre nous. Il nous a invités à prendre part à plusieurs 5 à 7 dans sa cour. Je découvrais un village, j’aimais le contact avec les gens, les bonnes vibrations.

Benoit Pinette

La maison de Chez Méo

PHOTO STÉPHANE LESSARD, LE NOUVELLISTE

Benoit Pinette, dans la rue Principale, à Saint-Élie-de-Caxton

Et ce qui devait arriver arriva. Quelques mois plus tard, en janvier 2021, toujours avec sa blonde, il a fait l’acquisition d’une des plus vieilles maisons du village. On vous le donne en mille : la propriété construite en 1880 avait déjà appartenu au légendaire barbier Méo Bellemare, personnage central du conte De peigne et de misère, de Fred Pellerin.

« On aimait l’idée que la maison [qui avait changé de vocation en 2015 pour devenir le magasin général Chez Méo] ait une histoire et soit située en plein cœur du village », expose le chanteur âgé de 40 ans.

On devine que l’arrivée d’un « artiste » venu d’ailleurs, dans cette communauté qui compte près d’une centaine de « créateurs », a suscité la curiosité des résidants. Benoit Pinette en est bien conscient. Et il insiste sur l’importance de s’intégrer et non pas de s’imposer.

« Encore l’été dernier, deux hommes âgés dans les 75-80 ans m’ont fait la conversation alors que j’étais sur ma galerie, évoque-t-il, amusé. Ils m’ont dit comme ça : “Tu sais, nous autres, on se faisait couper les cheveux icitte par Méo, dans l’temps !” »

Souvenir d’un passé qui semble si lointain : dans le salon, on retrouve une chaise de barbier, clin d’œil à Méo, qui coupait les cheveux de ses clients masculins tout en tentant de changer le monde.

Le studio de Jeannot

De son propre aveu, Tire le coyote se sent « apaisé, calmé » dès qu’il « se dépose » au village et qu’il ouvre toute grande la porte d’entrée de sa maison après avoir fait la route entre Québec — où il possède un condo dans le quartier Limoilou — et son Saint-Élie-de-Caxton d’adoption.

Je ne pensais pas que ça me procurerait un tel effet [bénéfique], du point de vue création. C’est pourtant ce qui s’est produit. Depuis que j’y suis, j’ai écrit toutes les chansons de mon prochain album. Ma maison, mon village, c’est devenu un endroit inspirant.

Benoit Pinette

Il faut comprendre, aussi, qu’il a passé — et qu’il passe encore beaucoup de temps — au studio d’enregistrement de son ami Jeannot Bournival, situé à moins de deux minutes de marche de chez lui.

« Je n’ai jamais eu autant de plaisir à travailler un album, dit-il, enthousiaste. Tout se fait dans la simplicité et la spontanéité. Si je ne me sens pas dans mon élément, c’est pas grave, je remets ça au lendemain. »

Benoit Pinette ne s’en cache pas : avec les années, il apprécie de plus en plus la vie en région, de préférence dans un village « où les gens s’entraident », dans un lieu « où les gens ont le sens du communautaire ».

« Honnêtement, résume-t-il, j’ai eu l’impression que la pandémie a été plus facile à vivre ici. Rien à voir avec ce qui s’est passé dans les plus grandes villes. »

Pas étonnant qu’il ait l’intention, un jour, de s’y établir en permanence. « On a envie de faire des rénovations, annonce-t-il. On se sent bien chez nous. On a des projets. »

Réaliste, avec le retour à une forme de vie normale, il sait toutefois qu’il passera de plus en plus de temps sur la route, à faire des tournées à la grandeur du Québec. Par conséquent, il n’ira pas aussi souvent à sa maison de la rue Principale, tout comme Émilie, qui vient de publier Services essentiels, un essai sur l’importance d’avoir une bonne santé culturelle. Un des chapitres est consacré à Fred Pellerin, grand défenseur des régions, tout comme son ami Jeannot Bournival.

À propos du célèbre conteur, il aime rappeler que Fred s’était transformé en courtier immobilier quand il avait appris que le village pouvait s’enrichir de deux nouveaux arrivants.

« Il nous avait dit : “Oui, oui, oui ! Je vais vous envoyer des maisons qui tombent à vendre. Vous êtes des bons prospects pour Saint-Élie !” »

Il en rit encore.

« Quand il a appris qu’on avait finalement acheté la maison de Chez Méo, il nous a lancé, incrédule : “J’en reviens pas encore que vous soyez là !” »

Il faut croire que son enthousiasme est contagieux puisqu’un de ses amis, bassiste, originaire de la Gaspésie, et qui vit à Montréal, songerait à s’installer en région lui aussi.

« Comme bien d’autres musiciens, travailleurs autonomes, fait-il valoir, il a compris que les maisons ne sont pas achetables à Montréal. On peut très bien vivre en région et aller en ville de temps en temps pour le travail. »

La relève est assurée.