La hausse constante du prix des propriétés ne semble pas freiner le désir des jeunes acheteurs, qui ont été nombreux à se porter acquéreurs d’une propriété en 2020, selon un récent sondage réalisé pour le compte de Royal LePage. Mais l’impact financier de la pandémie en oblige aussi beaucoup à retarder leur projet.

Près de la moitié des Canadiens âgés de 25 à 35 ans (48 %) sont actuellement propriétaires de leur résidence et 25 % d’entre eux ont acheté une propriété pendant la pandémie, révèle le sondage réalisé en ligne auprès de 2000 Canadiens par la firme Léger, du 29 décembre 2020 au 8 janvier 2021.

Au Québec, ce sont 50 % des 25-35 ans qui ont dit être déjà propriétaires. Parmi eux, 18 % ont acheté une propriété depuis la mi-mars l’an dernier et cette proportion passe à 28 % chez les répondants du Grand Montréal, ce qui représente le taux le plus élevé de toutes les régions sondées.

Les bas taux d’intérêt, la réduction des dépenses, le télétravail, le confinement et la vie en colocation sont tous des facteurs qui ont contribué à pousser les 25-35 ans vers l’achat d’une propriété, selon le président et chef de la direction de Royal LePage, Phil Soper. « L’aspect positif de cette pandémie est dans les économies personnelles qui explosent, les dollars non dépensés qui font leur chemin vers l’investissement immobilier », a déclaré M. Soper dans un communiqué.

Autre son de cloche

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES COURTIERS IMMOBILIERS DU QUÉBEC

Charles Brant, directeur du service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec

Les données de ce sondage étonnent néanmoins Charles Brant, directeur du service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ). Sur la base d’un autre sondage réalisé par Léger pour le compte de l’APCIQ, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), le Fonds immobilier de solidarité FTQ et la Société d’habitation du Québec (SHQ), il estime que la pandémie a rendu plus difficile l’accession à la propriété pour les jeunes.

Les jeunes sont plus enclins à devenir propriétaires, ça, c’est sûr. Cependant, la pandémie a eu un impact sur leurs finances. Elle a davantage touché les plus jeunes par rapport au reste de la population.

Charles Brant, directeur du service de l’analyse du marché à l’APCIQ

M. Brant croit que les acheteurs expérimentés sont surtout ceux qui ont été actifs sur le marché dans la dernière année.

Selon ce sondage, mené à la fin de septembre et au début d’octobre auprès de 5655 Québécois, 52 % des 18-34 ans ont répondu qu’il était très probable ou assez probable qu’ils achètent une propriété dans les cinq prochaines années. Mais la pandémie a eu un impact sur les intentions d’achat, de déménagement et de vente pour 40 % des répondants de ce groupe d’âge, la moitié disant rester locataires ou reporter leur projet d’achat. Des données de Statistique Canada publiées en décembre dernier montrent également que les milléniaux sont la génération dont le bien-être économique est le plus touché par la pandémie.

Mais sur le terrain, les jeunes acheteurs sont très présents, remarque la courtière immobilière Roxanne Jodoin, elle-même une milléniale qui a accédé à la propriété l’an dernier. « J’ai rarement eu autant de jeunes qui font appel à moi pour les accompagner dans l’acquisition d’une première propriété », indique la courtière immobilière chez Royal LePage Privilège, à Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud.

« Plus que jamais, et dans les six derniers mois encore plus, ce sont des jeunes qui, soit sont Montréalais et veulent revenir dans leur banlieue natale, soit sont des Montréalais de souche qui veulent partir pour la banlieue parce que le télétravail le leur permet et que les logements sont peut-être rendus trop petits », explique-t-elle.

Un 3 1/2 devenu trop petit

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jérôme Desgroseilliers et Marie-Laurence Porlier

Marie-Laurence Porlier et Jérôme Desgroseilliers, tous deux âgés de 28 ans, sont de ceux-là. Ayant tous deux grandi sur la Rive-Sud, ils ont quitté récemment l’appartement qu’ils louaient sur le Plateau Mont-Royal pour une maison unifamiliale à Saint-Bruno-de-Montarville.

« On avait regardé le marché un peu il y a deux ans, mais on n’était pas rendus à voir une maison sur la Rive-Sud, indique Marie-Laurence Porlier. La pandémie a fait en sorte que notre 3 1/2 sur le Plateau est devenu un peu petit. Travailler les deux à distance, dans la même pièce... On commençait à manquer d’espace. »

Comme bien des acheteurs, ils se sont frottés aux offres multiples et à la surenchère avant de trouver la propriété qu’ils ont acquise en septembre dernier. « C’était vraiment stressant, dit Jérôme Desgroseilliers. C’est la plus grosse décision de notre vie comme premiers acheteurs. Tu as une visite pour décider si tu es prêt à mettre toutes tes économies dans une maison que tu viens de voir pour la première fois. Tu le sais que si ce n’est pas toi, c’est la personne qui vient de stationner dans l’entrée qui va sûrement le faire à ta place. »

Aujourd’hui, c’est quasi la norme d’avoir des messages de mes collègues courtiers qui disent qu’on est rendus à 12, 13, 14 offres.

Roxanne Jodoin, courtière immobilière

Devant la hausse constante des prix (le prix médian des maisons unifamiliales a augmenté de 18 % dans la région métropolitaine de Montréal en 2020, selon l’APCIQ), la courtière constate chez de nombreux jeunes acheteurs un sentiment d’urgence. Plus tôt cette semaine, le PDG de la SCHL a reconnu que son organisation s’était trompée dans ses prédictions sur le marché immobilier post-pandémie, en misant sur une baisse des prix des maisons de 9 à 18 %. C’est l’inverse qui s’est produit.

« On n’a pas de boule de cristal, mais je suis quand même contente qu’on ait acheté en septembre parce que ça a continué d’augmenter, remarque Marie-Laurence. Je ne sais même plus si Saint-Bruno serait accessible pour nous en ce moment. »

Plus d’épargne

La SCHL n’avait notamment pas prévu que les ménages, comme celui de Marie-Laurence et Jérôme, augmenteraient leur taux d’épargne. « La pandémie nous a permis de faire des économies. Plus de sorties, plus de restos, avant, on partait minimum deux semaines par année en voyage, souligne Marie-Laurence. Ça nous a permis de mettre 20 % de mise de fonds, et avec les bas taux d’intérêt, d’avoir des paiements d’hypothèque pas tellement plus élevés que ce qu’on payait pour l’appartement. C’est certain qu’on s’est assurés que s’ils augmentaient dans cinq ans, on serait capables de payer. »

Charles Brant nuance cependant cette réalité : « Il y a de jeunes ménages qui ont des emplois stables, qui ont pu épargner, qui ont pu accumuler ou compléter une mise de fonds plus rapidement. C’est une chose. Mais dans la grande majorité des cas, ce n’est pas ce qui s’est passé. »

Réunir une mise de fonds suffisante demeure le nerf de la guerre pour bon nombre de premiers acheteurs. « La baisse des taux d’intérêt fait baisser les mensualités hypothécaires, mais le gros enjeu, c’est d’avoir la mise de fonds nécessaire dans un contexte où les prix ont fortement augmenté et continuent d’augmenter. C’est là où ça bloque », dit Charles Brant.