(Saint-Élie-de-Caxton) « Le dernier show, je l’ai écrit en bûchant ! J’arrivais chez nous après avoir coupé des arbres à la chainsaw, et après, je dropais ça dans l’ordinateur. »

Il y a cinq ans, le conteur Fred Pellerin a acheté une terre de 60 hectares, avec un lac et une forêt dense, tout près de chez lui, dans son village de Saint-Élie-de-Caxton.

Trois ans plus tard, au printemps 2019, à force de bûcher et d’ouvrir des chemins, il « inaugurait » sa cabane en bois de pruche. C’est là qu’il trouve refuge quand il ressent le besoin de « prendre des puffs d’air pur » et pour « se calmer le cerveau ». « Ma bestiole dans ma tête », dit-il avec son langage imagé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« Ce n’est pas moi qui l’ai construite, je n’ai pas le talent pour la construction, tient-il à préciser. Moi, pendant que les gars brettaient là-dessus, je coupais du bois pour les tenir au chaud. »

C’est là, aussi, que l’auteur de L’arracheuse de temps – qui sera porté au grand écran à la fin de l’année — parvient à faire le vide entre ses séances d’écriture. « Ce n’est pas moi qui l’ai construite, je n’ai pas le talent pour la construction, tient-il à préciser. Moi, pendant que les gars brettaient là-dessus, je coupais du bois pour les tenir au chaud. »

Sur les traces de Vigneault

Fred Pellerin nous a ouvert les portes de sa cabane, à la fin de décembre, après nous avoir donné rendez-vous au cœur du village. De là, au volant de son vieux pick-up acheté de seconde main, il nous a montré le chemin menant à son refuge. Ce jour-là, le temps était doux, le sol était recouvert d’une fine couche de neige… et il n’y avait nulle trace de lutin dans les parages.

« Ça me fait toujours du bien de me retrouver ici, confie-t-il, des étoiles dans les yeux. C’est vraiment pas loin de ma maison, mais quand j’y suis, je me sens comme si j’étais ailleurs. »

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« Ça me fait toujours du bien de me retrouver ici, confie-t-il, des étoiles dans les yeux. C’est vraiment pas loin de ma maison, mais quand j’y suis, je me sens comme si j’étais ailleurs. »

C’est nul autre que Gilles Vigneault qui lui a donné l’idée de construire cette belle cabane dans le bois. « Il m’avait dit, alors qu’on faisait les sucres lors du tournage du documentaire Le goût d’un pays : “Fais-le pour le père, pour la mémoire !” Il m’avait embobiné. Je lui avais promis que j’allais le faire. »

Le poète de Natashquan, qui considère Fred comme son « neveu spirituel », venait de toucher une corde sensible… « J’avais des antécédents de sucre avec mon père, raconte Fred Pellerin, âgé de 44 ans. Mon père, il avait une toute petite cabane, c’était son petit paradis. » Il s’interrompt : « Mon père est décédé il y a un peu plus de 13 ans. »

Il se met alors à parler de cet homme, parti trop tôt, « qui a semé la graine en dedans de [lui], celle de la nature, du plaisir de la voir se transformer, et celle, également, d’avoir une cabane [à sucre] pour laisser filer le temps, quand l’eau d’érable bouille ».

« Cette graine-là, elle a commencé à germer quelques années après son décès, évoque-t-il. Ça m’aura tout de même pris près de 10 ans pour que je me déguidine et que je la fasse construire, ma belle cabane ! »

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Fred Pellerin a eu l’idée de construire une cabane en discutant avec Gilles Vigneault.

La nature m’aide à écrire, à équilibrer les affaires. Je suis un passionné, j’aime aller au bout de ce que j’entreprends. Mon père aussi, il allait la pédale au fond. Il allait au boutte pour tester son endurance.

Fred Pellerin

Le plaisir avant le profit

Fred Pellerin l’admet d’emblée : il préfère jouer avec les mots plutôt qu’avec les chiffres. Mais il sait compter. « J’ai dépensé 100 000 piastres pour ma cabane et l’achat d’équipements en stainless pour produire du sirop d’érable, calcule-t-il sommairement. La première année, ça n’a pas coulé ; j’ai fait juste 10 litres ! Ça revenait à 10 000 piastres du litre. »

Pour mettre les choses en perspective, il s’empresse d’ajouter, sourire en coin : « Ça n’a jamais été un projet pour faire de l’argent. Je fais ça par passion. Je dirais même que le profit est dans le plaisir. »

Chose certaine, sa passion pour le « bon sirop » est grandissante, au point où il souhaite entailler 700 érables au cours des prochains mois. Ce qui devrait lui permettre d’embouteiller son sirop avec l’étiquette « Fred Pellerin » dans plus de 600 bouteilles de 330 ml.

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« La première année, ça n’a pas coulé ; j’ai fait juste 10 litres ! », dit Fred Pellerin.

« En tout cas, j’espère que ce sera moins difficile que lors du printemps 2020, dit-il. En mars dernier, à cause de la pandémie, j’ai dû faire tout, tout seul. J’en ai sué un coup pour remplir les chaudières, chaussé de mes raquettes ! »

Le bois du curé

Visiblement, il aime ce mode de vie qui lui permet de « décanter » et de composer avec la nature. « C’est un beau travail sur l’humilité », philosophe-t-il.

On devine bien que le conteur ne passe pas ses journées dans sa forêt à ne rien faire. Curieux, il a appris à reconnaître « tout ce qu’on peut manger dans la forêt ». « On a là une richesse inouïe, et je pense qu’il faudrait prendre le temps de bien la cueillir [la forêt], soulève-t-il. Il y a tous ces champignons comestibles. »

Il sait reconnaître les arbres en santé et ceux qui souffrent de l’écorce. Tandis qu’il nous fait faire le tour du propriétaire, il y va d’anecdotes « arboricoles ». « Dans le temps, évoque-t-il, les paroissiens allaient livrer une corde de bois par année au presbytère. C’était du hêtre. Le meilleur bois. On l’appelait le bois de curé. Il était lisse, lisse, lisse, et il avait la propriété de ne pas salir son beau plancher ! »

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Fred Pellerin a confié la conception de sa cabane à deux artisans de la Mauricie.

Il nous parle également d’une autre espèce d’arbre qui se trouve sur sa terre : l’ostryer de Virginie, « bois de fer » utilisé pour faire des manches de hache, avec une capacité en BTU plus élevée que le chêne ». « C’est un bois tellement dur que même la chainsaw a de la misère à le manger ! Des fois, j’en trouve un couché, je me le fais et je le garde pour les soirées spéciales où je mets une bûche dans le foyer avec un grand cru ! »

Parce qu’il faut aussi comprendre que Fred Pellerin, qui a mille projets dans sa tête, aime bien jouer de la tronçonneuse pour « faire le ménage » dans sa forêt.

Quand tu bûches et que tu fends, c’est toujours le même geste. Il y a là une répétition [du geste] qui m’aide à écrire mes histoires.

Fred Pellerin

On sait maintenant de quel bois se chauffe le conteur.

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Fred Pellerin, qui a mille projets dans sa tête, aime bien jouer de la tronçonneuse pour « faire le ménage » dans sa forêt.

Une cabane écologique

Ardent défenseur de l’achat local, Fred Pellerin a confié la conception de sa cabane « avec une structure autoportante » à deux artisans de la Mauricie. « J’ai fait appel à un gars du village [Jonathan Frappier], qui a le sens des belles choses, et à un gars de Saint-Mathieu-du-Parc [Guillaume Gattier], qui connaît tout de ce savoir pointu. »

L’érection de la cabane (qui fait 20 pi sur 22 pi) a été réalisée par un autre Pellerin du village, l’entrepreneur Marc-André Pellerin, qui n’a aucun lien de parenté avec le conteur.

« Tout s’est très bien passé, précise-t-il. Ç’a été un beau projet. »

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Fred Pellerin affirme qu’il s’agit d’une « cabane écologique, toute en bois, sans aucune poutre de métal ». « C’est une timber frame ».

Il s’empresse d’ajouter, avec une certaine fierté, qu’il s’agit d’une « cabane écologique, toute en bois, sans aucune poutre de métal ». « C’est une timber frame », précise-t-il. On aura compris que les poutres, connectées par des tenons, s’emboîtent dans une mortaise.

À l’intérieur, on y retrouve des objets symboliques qui ont appartenu à son père : raquettes en babiche, vilebrequin, section de la « bouilleuse » (pour chauffer l’eau d’érable), chaudières.

Pas de doute, Fred Pellerin souhaite transmettre sa passion pour les « choses vraies » à ses trois enfants.

Une bien belle histoire.