Les condos poussent comme des champignons à Montréal. Or, comment réagiriez-vous si, une fois installé dans votre nouveau quartier, la caissière de l’épicerie enlevait de 10 à 20 % des chanterelles de votre casseau sans en réduire le prix ? C’est la déception que vivent de nombreux propriétaires en prenant connaissance de la superficie nette de leur logement. Un jugement récent pourrait leur donner des munitions. Survol en cinq temps.

Superficie brute et superficie nette

« Les superficies et dimensions sont approximatives et sujettes à modifications sans préavis. » Voilà le genre d’avertissement glissé en petits caractères sur l’ensemble des plans et des contrats préliminaires dans le marché des condos neufs.

La superficie brute des logements, généralement estimée par un architecte, inclut des portions non habitables comme une partie des murs, les colonnes de soutien ou les puits de ventilation, de plomberie ou d’électricité. C’est cette mesure que les promoteurs et les courtiers utilisent pour vendre des condos sur plan à des clients potentiels.

La superficie nette, calculée par un arpenteur-géomètre, s’approche davantage de la surface habitable, c’est-à-dire l’espace où il est possible de circuler, en excluant les balcons — là encore, il vaut mieux s’en informer. Cette mesure, dévoilée aux clients plus tard dans le processus d’achat, apparaît dans le plan de cadastre ou dans le certificat de localisation. Règle générale, les acheteurs peuvent s’attendre à une différence d’environ 10 % entre la superficie brute et la superficie nette d’un condo neuf acheté sur plan.

Sur le marché de la revente, la loi exige que seule la superficie nette soit utilisée.

Une pièce en moins

Mireille* et son conjoint cherchaient un condo d’une superficie habitable d’au moins 1000 pi2. Un projet immobilier à Montréal répondait à leurs attentes, et ils ont rapidement signé un contrat d’achat préliminaire.

Méticuleux dans ses recherches, le couple savait très bien que la superficie nette qui serait dévoilée avant la signature serait inférieure à la superficie brute annoncée par le promoteur. Mais de combien ? « Depuis le début, on nous annonçait une différence de 15 %, dans le pire des scénarios, ce qui nous menait environ à notre 1000 pi2. »

Lors d’une première visite du condo, non fini, les jeunes acheteurs ont eu l’impression d’un écart plus important. Petit calcul : il leur était désormais impossible de faire entrer leur lit dans la chambre principale. Après plusieurs tentatives pour obtenir la superficie nette auprès de la courtière immobilière du promoteur, Mireille et son conjoint ont finalement eu leur réponse quelques jours avant de passer chez la notaire… du vendeur. Différence ? 19,5 %.

« C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », dit la jeune femme. Aurait-elle pu refuser de signer le contrat de vente ferme ? Le couple, qui habitait le condo, était coincé : il aurait dû déménager et n’avait nulle part où aller.

Dans une mise en demeure, les jeunes propriétaires, épaulés par les services juridiques de leur courtier, ont exigé un dédommagement d’environ 5 % du coût d’achat, soit la différence entre l’écart réel de quelque 20 % et celui annoncé d’au maximum 15 %.

Après plusieurs échanges, « ils ont décidé de couper la poire », explique Mireille, qui n’a pas souhaité se rendre en cour.

On s’est tout de même senti roulés. Pourquoi avancer un 10 % ou un 15 % en sachant très bien que la différence sera plus grande ? Il nous manque l’équivalent d’une pièce.

Mireille

La Presse a tenté de joindre cinq promoteurs pour ce reportage. Aucun n’a répondu à notre demande d’entrevue.

Ce que prévoit la loi

L’article 1737 du Code civil du Québec stipule que « lorsque le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat et qu’il est dans l’impossibilité de le faire, l’acheteur peut obtenir une diminution du prix ou, si la différence lui cause un préjudice sérieux, la résolution de la vente ». Dans le cas qui nous occupe, la contenance peut être comprise comme la superficie du logement.

Sébastien Fiset, avocat spécialisé en droit immobilier, précise toutefois que les promoteurs, en vertu de l’article 1720, peuvent faire valoir « que la contenance, c’est-à-dire la dimension, n’était pas importante pour l’acheteur ». « Par exemple, si un copropriétaire s’est déplacé et a pu visiter le logement à plusieurs reprises, pour lui, la dimension n’aura pas été un facteur prédominant ou un élément essentiel dans son contrat d’achat. Le tribunal pourrait juger qu’il n’y a pas de dommage, ou du moins, être plus mitigé. »

MFiset explique en outre que l’indemnisation, en cas de gain judiciaire, ne sera pas fixée à partir d’une « règle de trois » entre le prix payé, la superficie annoncée et la superficie réelle. « Généralement, la jurisprudence va donner un coût moindre parce que la superficie est l’un des éléments essentiels qui ont motivé l’acheteur. Il n’y a pas de caractère solide ou mathématique. »

Récemment, la Cour d’appel a confirmé un jugement de la Cour supérieure condamnant le promoteur Habitats District Griffin à verser 73 000 $ à un client qui a vu la superficie de son condo fondre de 12 %. Le juge a statué que le plaignant n’avait pas renoncé à ses droits en signant le contrat préliminaire et l’acte de vente, où apparaissait un avertissement sur de possibles écarts de superficie.

Au-delà du Code civil, les consommateurs pourraient aussi invoquer des articles de Loi sur la protection du consommateur, note l’avocat Sébastien Fiset. Ceux-ci touchent à la « représentation fausse ou trompeuse » et à l’interdiction d’attribuer « faussement une dimension » à un bien. Comme dans le cas de Mireille, « beaucoup de dossiers se règlent avant d’être entendus sur le fond », note-t-il.

Le rôle des courtiers

Les gens sont souvent mal renseignés lors de l’achat d’un condo neuf, admet Alex Kay, courtier immobilier au sein de l’Équipe immobilière centre-ville de Remax Action Westmount. La Loi sur le courtage immobilier oblige les professionnels à divulguer la superficie nette des logements vendus… pour autant qu’elle soit disponible. « Sur plan, c’est une zone plus grise légalement, parce que le courtier n’a pas accès à l’information. »

Une assistante en gestion immobilière de la région de Montréal, qui a requis l’anonymat puisqu’elle a signé une entente de confidentialité, déplore avoir entendu plusieurs de ses collègues annoncer aux clients une différence de superficie d’environ 5 %, alors qu’ils savaient pertinemment que celle-ci atteindrait plus de 10 %.

« Ça peut coûter cher au courtier et à ses assurances », met en garde Alex Kay, qui juge qu’il y a matière à poursuite quand l’écart dépasse 10 %.

Resserrer les règles ?

Mireille, l’avocat Sébastien Fiset et le courtier immobilier Alex Kay verraient tous d’un bon œil un resserrement des règles gouvernementales pour mieux encadrer l’affichage de la superficie des condos neufs. Les promoteurs, après tout, ne font que profiter d’une zone d’ombre légale.

C’est clair que les développeurs, les architectes et les promoteurs ont l’air de pousser les chiffres à leur avantage. On ne peut pas leur en vouloir. On les laisse faire.

Alex Kay, courtier immobilier

Uniformiser les méthodes de calcul, privilégier les superficies nettes, renseigner plus clairement les futurs propriétaires : de nombreuses pistes de solution existent pour permettre aux clients « de comparer de manière juste ». « Les gens comparent souvent le prix dans les marchés du neuf et de la revente, dit le courtier immobilier Alex Kay. À première vue, ils vont trouver que la différence n’est pas si grande. Mais ils vont avoir une surprise quand ils vont prendre connaissance de la superficie corrigée du condo neuf. »

En France, par exemple, la loi Carrez impose à tous la superficie de plancher comme méthode de calcul.

Malgré les préoccupations des spécialistes, Québec n’envisage pas une révision de la loi. « Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation n’a pas été interpellé concernant la problématique que vous soulevez, il n’y a donc pas à l’heure actuelle de travaux en cours concernant ce sujet », a écrit dans un courriel le porte-parole Sébastien Gariépy.

* Prénom fictif. La propriétaire a signé une entente avec le promoteur qui lui interdit de médiatiser son dossier.