Les habitations conçues pour émettre peu de gaz à effet de serre et bâties en se souciant de la santé et du bien-être des futurs occupants se font encore rares. Quatre passionnés de la construction verte, qui cherchent à leur manière à faire bouger les choses, révèlent ce qu’ils et elles voudraient qu’il se produise au cours des 10 prochaines années.

Hugo Lafrance

LEED Fellow* Directeur aux stratégies durables chez Lemay

« Il y a des limites à ce que les promoteurs et les particuliers peuvent faire sur une base volontaire, constate Hugo Lafrance. Bâtir beaucoup plus cher que les autres est difficilement justifiable économiquement. Cela va prendre des réglementations pour que ce soit équitable pour tous et générer du changement. Cela fait tellement longtemps qu’il n’y a pas eu de hausse des exigences, je nous souhaite une ou deux réformes réglementaires pour faire avancer le marché. »

Il se construit de plus en plus d’immeubles résidentiels de moyenne et de grande hauteur. Il faut apprendre à mieux faire ces bâtiments-là, souligne-t-il. « Beaucoup d’édifices utilisent le gaz naturel et ne sont pas si efficaces, déplore-t-il. Actuellement, c’est comme s’il n’y avait pas d’objectifs fixés pour 2030 au Québec et au Canada. Il y a beaucoup d’inertie dans le marché résidentiel. La consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas la préoccupation première. »

Les acheteurs devraient chercher à savoir si les entrepreneurs se soucient d’employer des produits meilleurs pour l’environnement ou pour la santé. « J’ai de la misère à comprendre qu’à l’achat d’une maison ou d’un condo, on n’a aucune idée des produits utilisés. »

Julie-Anne Chayer

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

La qualité architecturale des bâtiments doit être considérée lors de la conception et du choix des matériaux, souligne Julie-Anne Chayer. Le complexe Humaniti, conçu par Lemay et que construit DevMcGill/Cogir Immobilier au centre-ville de Montréal, vise les certifications WELL (une première au Québec) et LEED.

Présidente du Conseil du bâtiment durable du Canada-Québec Vice-présidente à la responsabilité d’entreprise du Groupe Agéco

Le temps file, fait remarquer Julie-Anne Chayer. « D’ici trois ans, il faut avoir pris les bonnes décisions pour mettre en œuvre les aspects qui permettront d’atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre [GES] pour 2030. Pour cela, l’un de mes souhaits serait de revoir la règle du plus bas soumissionnaire. La réduction des émissions de GES et le coût du cycle de vie devraient être partie intégrante du processus de sélection. »

L’Agenda montréalais 2030 pour la qualité et l’exemplarité en design et en architecture, qui a été adopté le 16 décembre dernier, encourage l’adoption de meilleures pratiques, afin d’avoir une ville équitable, inclusive, attrayante, performante et résiliente face aux changements climatiques, rappelle-t-elle. « Cela demande que la main-d’œuvre et les élus soient bien formés, dit-elle. La qualité architecturale doit aussi être considérée à toutes les étapes, que ce soit en amont, lors de la conception et du choix des matériaux, lors de la construction et tout au long de la vie du bâtiment. »

Une autre question lui importe : avoir un ministère du Bâtiment durable. « Il n’y a pas de leadership au niveau gouvernemental », déplore-t-elle.

Josée Lupien

ILLUSTRATION FOURNIE PAR SID LEE ARCHITECTURE

Le projet Le grand collisionneur, conçu conjointement par Sid Lee Architecture, Montoni et Vertima, a été soumis au concours international C40–Reinventing Cities, l’automne dernier, mais n’a pas été retenu. L’équipe a imaginé une nouvelle forme d’habitat, qui agit comme un organisme vivant dont le métabolisme est en perpétuel mouvement.

LEED Fellow* Présidente de Vertima

L’une des pionnières dans le domaine de la construction durable au Québec, Josée Lupien, exprime un souhait pour 2030 : qu’il ne se fasse plus de bâtiments jetables. « Lors du choix des matériaux, il faut prendre en compte leur cycle de vie, leur durabilité, leur entretien », précise-t-elle.

L’empreinte carbone d’un nombre grandissant de matériaux est divulguée, poursuit-elle. Elle donne le crédit à la certification LEED v-4, qui a haussé les objectifs environnementaux. Un produit fait de matières recyclées, qui vient de Chine, n’est plus considéré comme avant. « Face à l’urgence climatique, la certification carbone zéro du Conseil du bâtiment durable du Canada va prendre du galon et sera adaptée au résidentiel », prédit-elle.

Le choix de l’emplacement est important. « Il faut réduire l’empreinte carbone à la base, souligne-t-elle. Il faut être cohérent. Tout est relié. »

À titre d’expert environnemental, Vertima a participé au concours international C40–Reinventing Cities, avec l’agence Sid Lee Architecture et le promoteur Montoni. Leur projet Le grand collisionneur, qui n’a pas été retenu pour transformer le site de la cour de voirie De la Commune, devait être exemplaire. Il cherchait à réduire l’empreinte carbone et visait une intégration sociale et environnementale. « On s’en va vers cela », croit Mme Lupien.

Martin Roy

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Lors du processus de conception du complexe Humaniti, les outils de modélisation énergétique ont permis de connaître l’effet important des balcons de béton sur la consommation d’énergie du bâtiment, révèle Martin Roy. Pour le confort et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le nombre de balcons a été réduit de moitié.

LEED Fellow* Président de Martin Roy et associés

En 2030, l’ingénieur souhaite qu’on ait pris en charge toute la question des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et au Québec. « Énormément de solutions existent pour atteindre les objectifs par rapport au climat, dit-il. On parle de bâtiments à consommation d’énergie nette zéro. C’est très faisable. Mais il faut faire attention à l’étalement urbain. Cela crée plus de pollution et émet plus de gaz à effet de serre. »

Il fait partie depuis des années du comité consultatif sur le Code national de l’énergie pour les bâtiments du Canada (CNEB), qui vise à hausser l’efficacité énergétique des bâtiments au pays. Il se réjouit de voir que, pour la première fois au Québec, le Code de construction pourrait être modifié pour inclure un chapitre, qui renvoie au CNEB de 2015, adapté pour répondre aux besoins spécifiques de la province. 

« Cela ne s’appliquera pas aux petits bâtiments résidentiels, précise-t-il. Pour ceux de grande hauteur, cela permettra d’arriver avec de meilleures solutions pour tendre vers la caboneutralité. »

Afin d’y parvenir, précise-t-il, cela prend une réglementation beaucoup plus exigeante et plus contraignante qu’aujourd’hui.

* LEED Fellow est la plus prestigieuse distinction dans l’industrie durable. Attribuée par l’organisme américain U.S. Green Building Council, elle reconnaît le leadership et le dévouement pour l’avancement de la construction écologique.