Un appartement de quatre pièces à moins de 600 $ par mois sur le Plateau. Un sept et demi loué 720 $ dans Hochelaga. Ces loyers d’un autre temps, quoique rares, existent bel et bien. Gros plan sur les petits prix du marché locatif.

Une chasse gardée

Mélodie, qui habite un quatre et demi dans le Plateau-Mont-Royal depuis 13 ans, paie un loyer inférieur à 600 $ par mois. Le prix moyen exigé pour un logement de même taille dans le même quartier ? Presque trois fois plus, soit 1563 $, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), qui a passé au crible des milliers d’appartements annoncés sur Kijiji en 2020. « Quand je regarde le marché, c’est complètement fou, dit la jeune femme. J’évite de parler du prix que je paie avec mes amis parce que je trouve ça un peu gênant. » Tabou, les aubaines dans le marché locatif ? Oui, à en croire les locataires qui nous ont parlé de leur « chance » à condition que leur nom soit tu. D’aucuns craignent de précipiter une hausse de loyer. Peinture défraîchie, petites fissures sur les murs, laxisme dans les travaux : voilà le genre de tribut à payer pour profiter d’un loyer modique, selon les témoignages recueillis. Rien d’assez grave pour plier bagage. « Je souhaite rester ici le plus longtemps possible », insiste Mélodie.

Un peu de temps et de sueur

Moins de 600 $. C’est aussi ce que paient Jean-François Hamelin et sa conjointe pour un appartement de 1000 pi2 dans Hochelaga-Maisonneuve. A priori anachroniques, de tels loyers survivent dans les quelque 1200 coopératives d’habitation du Québec. Ces organismes sans but lucratif mettent à profit l’ensemble des membres pour assurer la gestion de l’immeuble, ainsi que les travaux d’entretien et de rénovation. À la clé, un important « rabais » pour les locataires investis. « Ce n’est pas pour tout le monde, dit le jeune père. Il faut que tu t’impliques dans les réunions, dans les différents comités. Chacun doit se demander si l’échange de temps [contre un loyer réduit] vaut la peine. » Certains logements sont subventionnés, d’autres non, en fonction des coopératives et du salaire des membres. Dans tous les cas, les loyers restent inférieurs à ceux observés dans le « marché privé ». « Le problème, c’est que la coop crée une distorsion majeure entre ta perception de ce que coûte un appartement et le coût réel sur le marché », admet Jean-François.

Petites annonces, petites attentes

  • L’appartement de Montréal le moins cher lors de notre recherche sur Kijiji.

    PHOTO TIRÉE DE KIJIJI

    L’appartement de Montréal le moins cher lors de notre recherche sur Kijiji.

  • Il s’agit d’un « transfert de bail » pour un studio 1 1/2 dans Ahuntsic.

    PHOTO TIRÉE DE KIJIJI

    Il s’agit d’un « transfert de bail » pour un studio 1 1/2 dans Ahuntsic.

  • Le loyer est de 460 $ par mois.

    PHOTO TIRÉE DE KIJIJI

    Le loyer est de 460 $ par mois.

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Est-ce possible de se jouer des prix du marché par l’entremise des petites annonces ? Cap sur Kijiji pour en avoir le cœur net. Une fois qu’on a fait défiler les logements affichés au prix factice de 1 $, un premier appartement entier, un un et demi, apparaît au prix de 250 $. Eurê… Pas si vite ! 250 $ par… semaine. On continue. Un quatre et demi s’affiche à 351 $ par mois. Voilà notre grand gagn… Pas si vite (bis) ! Cette perle se trouve à… Shawinigan – nous avions pourtant limité notre recherche au Grand Montréal. Voilà enfin un vainqueur : un « transfert de bail » pour un « studio 1 ½ » à 460 $ par mois, dans Ahuntsic. Selon le RCLALQ, le prix moyen d’un tel logement sur Kijiji est d’environ 700 $. Or, comme c’est souvent le cas pour les logements anormalement abordables, la qualité et la quantité des photos sont limitées. Il faut donc se rendre sur place pour éviter les mauvaises surprises. Conclusion de nos recherches ? Les vraies aubaines apparaissent rarement sur des plateformes comme Kijiji ou MarketPlace (Facebook), tout simplement parce que la grande majorité d’entre elles ne sont pas affichées, conservées jalousement ou cédées à des proches.

La section G à la lettre

Pour espérer trouver la perle rare, de nombreux locataires privilégient les cessions de bail, facilitées par les réseaux sociaux. Sur Facebook, des groupes mettent en relation les locataires qui quittent un appartement et ceux qui en cherchent un. Le bail en vigueur continue alors de s’appliquer ; seul son responsable change. Fait moins connu, les règles sur la hausse des loyers sont les mêmes lorsqu’un nouveau locataire signe un bail tout neuf. Le propriétaire a l’obligation de dévoiler, à la section G du document, le prix le plus bas payé pour le loyer dans les 12 mois ayant précédé le début du nouveau contrat. Même après avoir signé le bail, le locataire dispose de 10 jours pour demander à la Régie du logement de fixer rétroactivement le loyer à partir de cette information. Le délai passe à deux mois si le propriétaire n’a pas donné d’avis par écrit, comme la loi l’exige. La hausse suggérée pour 2020 était d’environ 1,2 % pour un logement non chauffé.

Vu des locataires

Selon Maxime Roy-Allard, porte-parole du RCLALQ, « très peu d’augmentations sont contestées à la Régie du logement par les nouveaux locataires, puisque ceux-ci craignent de partir sur de mauvaises bases ». C’est pourquoi, dans un même immeuble, les loyers peuvent différer de plusieurs centaines de dollars. L’organisme demande un registre des loyers public pour faciliter l’échange de renseignements et prévenir les « hausses abusives ». Des loyers trop bas peuvent-ils mettre en péril le parc immobilier ? « Le problème, c’est la spéculation immobilière, qui nuit aux propriétaires, souvent pris à la gorge par leur hypothèque, dit M. Roy-Allard. Il y a un réel enjeu par rapport à l’abordabilité des propriétés, mais ce n’est pas aux locataires d’en payer le prix. » La solution, poursuit M. Roy-Allard, se trouve plutôt dans la régulation d’un marché immobilier « effréné ».

Vu des propriétaires

Les logements dont les prix ont peu évolué, à force de contestations, peuvent nuire à la santé du parc immobilier, selon Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). Un loyer très bas, dit-il, risque de freiner l’envie des propriétaires d’investir dans le logement, notamment en raison d’un manque de liquidités. M. Brouillette explique en outre que les travaux majeurs se répercutent très peu sur les loyers : la Régie autorise une hausse qui correspond en moyenne à 2,4 % des dépenses du propriétaire, soit un amortissement sur 41 ans. Le porte-parole regrette que ces règles poussent des propriétaires à hausser les loyers par des pratiques illégales comme les « rénovictions » – des évictions déguisées, soi-disant pour faire d’importantes rénovations. La CORPIQ s’oppose par ailleurs à la section G du bail, jugeant que les locataires consentent à payer le prix affiché. « Quand un loyer passe de 575 à 800 $ lors du déménagement d’un locataire, les associations vont dire que le prix explose, regrette M. Brouillette. Mais c’est normal que les hausses ne soient pas linéaires, qu’il y ait une récupération. » Il comprend néanmoins pourquoi certains propriétaires de plex acceptent des revenus moindres au profit de la stabilité. « Ils sont prêts à absorber une partie du loyer parce qu’ils ont un bon locataire, qui donne peut-être un coup de main avec la tondeuse ou récupère le courrier pendant les vacances. Il y a une question de qualité de vie. »