C’est un phénomène qu’on observait bien avant la pandémie : de nombreux Montréalais décident de quitter leur île. Ils sont séduits par des municipalités qui ont une vie culturelle riche et un esprit de communauté bien vivant. Ils sont aussi attirés par la nature ou encore par l’idée d’avoir plus de pouvoir comme citoyen. La Presse a décidé de leur donner la parole et de partir à leur rencontre.

« J’ai l’impression de respirer », lance Mélissa Valiquette.

En mai dernier, la pandémie l’a poussée à concrétiser avec son conjoint un projet qu’ils caressaient depuis longtemps. Celui de quitter Montréal.

Autre facteur qui a précipité les choses : Mélissa Valiquette a obtenu un emploi à la MRC des Pays-d’en-Haut.

Elle, son amoureux Ismaël Picot et leurs deux enfants ont laissé leur appartement du quartier Villeray pour s’installer à Val-David.

  • Ismaël Picot et Mélissa Valiquette ont laissé leur appartement du quartier Villeray, à Montréal, pour s’installer avec leurs deux enfants à Val-David.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Ismaël Picot et Mélissa Valiquette ont laissé leur appartement du quartier Villeray, à Montréal, pour s’installer avec leurs deux enfants à Val-David.

  • La rue de l’Église, au centre-ville de Val-David

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    La rue de l’Église, au centre-ville de Val-David

  • Les activités de plein air sont au cœur de la vie dans les Laurentides.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Les activités de plein air sont au cœur de la vie dans les Laurentides.

  • Cours de dessin en plein air au Lézarts Loco, centre de création, diffusion et formation de Val-David

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    Cours de dessin en plein air au Lézarts Loco, centre de création, diffusion et formation de Val-David

  • Situé à environ 80 km de Montréal, Val-David est une destination prisée par les visiteurs.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Situé à environ 80 km de Montréal, Val-David est une destination prisée par les visiteurs.

  • Le Général Café propose une cuisine locale bio et équitable.

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    Le Général Café propose une cuisine locale bio et équitable.

  • Randonnée au Parc régional Val-David–Val-Morin

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Randonnée au Parc régional Val-David–Val-Morin

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Ils l’ont même fait de concert avec un couple d’amis de Verdun ! « C’est en les consultant qu’on a arrêté notre choix sur Val-David », raconte Mélissa.

« On y pensait depuis longtemps », souligne Ismaël Picot, qui a toujours un emploi à Montréal, mais qui est en télétravail. « La COVID a été le dernier coup de pied que cela nous prenait », ajoute sa compagne, qui a grandi dans les Laurentides.

Le couple a même arrêté son choix sur une maison à louer de façon virtuelle. « L’important était de déménager. »

Plusieurs fois par jour, Mélissa Valiquette se réjouit de son changement de vie. Elle et Ismaël se sentent moins coincés. Ils peuvent surveiller leurs enfants, Clara et Antoine, qui jouent dehors de l’intérieur de leur maison. « Il y a même un boisé. »

Destination Saint-Camille

PHOTO FOURNIE PAR DESTINATION SAINT-CAMILLE

Le centre-ville de Saint-Camille

L’idée voulant que quitter Montréal rime avec des loisirs culturels et une vie communautaire appauvris n’est plus.

Il y a 536 habitants dans le village Saint-Camille, dans les Cantons-de-l’Est, mais il y a un organisme qui s’appelle… Destination Saint-Camille.

La municipalité l’a créé quand elle a acheté l’église pour en faire « un centre de congrès éclaté en milieu rural », explique la directrice générale, Julie Vaillancourt.

À deux pas de l’église (rebaptisée Le Camillois), on retrouve dans l’ancien magasin général du village, Le P’tit bonheur, une salle de spectacle très appréciée des habitants du coin, mais aussi des artistes.

Le P’tit bonheur, c’est aussi un café et un organisme culturel. On y tient notamment les « vendredis pizza », une véritable tradition à Saint-Camille. « Tout le monde s’y croise. Il y a un grand esprit de communauté », souligne Serge Laglois, directeur général de Destination Saint-Camille.

Résultat : il manque de maisons à vendre pour tous les gens qui veulent s’établir dans ce village situé à 35 km de Sherbrooke.

Il y a une quinzaine d’années, le portrait était tout autre : la population était vieillissante et l’école primaire était menacée de fermeture.

En 2004, des citoyens et la municipalité ont créé la Coopérative du Rang 13 quand un propriétaire de 300 acres de terres a accepté de les vendre pour en faire des lots abordables destinés à des jeunes qui veulent concrétiser des projets agroforestiers. « Cela a attiré de 30 à 40 familles et a réglé le problème démographique », indique Julie Vaillancourt.

Non seulement l’école primaire a été sauvée, mais le gouvernement du Québec a injecté de l’argent en septembre dernier pour y ajouter six classes.

« Plus de pouvoir »

Marie-Ève Bourdages habite à Richmond, à 50 km de Saint-Camille. Native de Montréal, elle a quitté la métropole il y a un an et demi avec son amoureux et leur fils.

« Nous avons eu un coup de cœur pour une maison et avons déménagé un peu à l’aveugle sans savoir ce qui nous attendait », mentionne celle qui a longtemps travaillé pour une maison de disques montréalaise.

Le véritable coup de cœur pour leur municipalité d’adoption est venu quelques mois après leur arrivée, lors d’une manifestation pour sauver le Centre d’art de Richmond, situé dans un ancien couvent centenaire.

« Le conseil d’administration qui était en place voulait que le centre déménage, mais le centre a été fondé à la base pour préserver le bâtiment, qui date de 1884 », raconte-t-elle. Le couvent héberge aussi une école de musique, une salle de spectacle et de nombreux organismes.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-ÈVE BOURDAGES

Ex-Montréalaise, Marie-Ève Bourdages habite dorénavant à Richmond.

La communauté s’est soulevée pour protéger son patrimoine et son centre d’art. J’ai trouvé cela tellement beau.

Marie-Ève Bourdages, qui a quitté Montréal pour s’établir à Richmond

Il y a eu une pétition, une marche (sous la grêle) et des consultations citoyennes. Résultat : le projet a avorté et les membres du conseil d’administration ont démissionné en bloc. Cela a permis à Marie-Ève Bourdages de se faire des amis, mais aussi de devenir la codirectrice artistique du Centre d’art de Richmond. « Le nouveau conseil d’administration m’a recrutée. »

Des mois plus tard, elle apprécie le côté à « échelle humaine » de Richmond. Et le lien tangible avec les élus : « Je vois le maire tondre son gazon quand je fais mon jogging. Je croise les députés. » Mais surtout, elle découvre le sentiment d’avoir « un pouvoir » comme citoyenne.

Aussi en Gaspésie

Sur le site de Vivre en Gaspésie, on apprend que 2000 personnes viennent s’installer chaque année dans la région.

Il y a de nombreux témoignages de nouveaux arrivants. Catherine Côté cite « le rythme plus paisible ». Florence Bédard confie que son choix a été motivé par « une carrière qui plafonnait et une rupture amoureuse ». Originaire de la France, Aude Buévoz vante la « possibilité de créer son propre emploi » et « tous les produits incroyables qui sont encore à commercialiser ».

Originaire de Val-David, Kim Parent a déménagé à Cap-d’Espoir en 2017. « Je travaille à distance en ligne chez une firme établie à Montréal, Tremblant et Paris, indique-t-elle. J’ai des réunions tous les deux mois dans les bureaux des grands centres. »

Non, la campagne n’est plus ce qu’elle était. Et ce n’est pas juste grâce à l’internet.

La néoruralité

« La ville et la campagne ne sont plus en opposition », soutient la sociologue et anthropologue Myriam Simard.

Exit la « vision dualiste et réductrice » de la ville et de la campagne et tous les clichés qui viennent avec (« on mange mal en région » ou « c’est dangereux à Montréal »). Les deux modes de vie sont plutôt complémentaires et il y a de plus en plus de « va-et-vient » de populations entre les régions urbaines et rurales selon les étapes de la vie, souligne Mme Simard.

Quitter la ville n’est plus un geste de « rupture », note-t-elle. On voit des gens retourner vivre en ville ou à la campagne quand ils prennent leur retraite, par exemple.

Or, on assiste dans certains endroits à une « gentrification des campagnes », souligne la professeure retraitée de l’INRS. Avec tous les défis d’embourgeoisement, immobiliers et de gouvernance que cela comporte.

Mme Simard a fondé le Groupe de recherche sur la migration ville/campagne et les néoruraux en 2009. C’est depuis environ 25 ans que le paysage de la campagne se diversifie avec des populations plus hétérogènes, expose-t-elle. Les néoruraux ne sont pas des villégiateurs qui passent leurs week-ends à la campagne, mais des gens qui s’établissent à un endroit où ils contribuent au « renouveau rural ».

« Une meilleure qualité de vie »

Pourquoi quittent-ils la ville ? « Ils recherchent une meilleure qualité de vie », résume Mme Simard. Une vie plus conviviale.

PHOTO CHRISTIAN FLEURY, FOURNIE PAR L’INRS

Myriam Simard, sociologue, anthropologue, professeure retraitée de l’INRS et fondatrice du Groupe de recherche sur la migration ville/campagne et les néoruraux

Dans nos entrevues, les gens disaient vouloir fuir les contraintes de la ville comme le trafic et la pollution. Et avoir un meilleur équilibre entre leurs vies professionnelle, personnelle et familiale.

Myriam Simard, sociologue, anthropologue, professeure retraitée de l’INRS et fondatrice du Groupe de recherche sur la migration ville/campagne et les néoruraux

De nombreux facteurs ont favorisé la migration et la mobilité entre la ville et la campagne : l’avènement des travailleurs autonomes, de l’entrepreneuriat et bien entendu de l’internet, qui facilite le télétravail.

Dans une municipalité, l’arrivée de néoruraux favorise l’ouverture de nouveaux commerces (cafés, restaurants, microbrasseries) et elle permet à des municipalités de maintenir des services de proximité (écoles, caisses populaires).

Toutefois, cela change le paysage d’un village et « peut créer des frustrations et des clivages ».

Mme Simard s’interroge par ailleurs à savoir si l’exode urbain accéléré par la pandémie sera « éphémère » et à quel point il va accentuer encore davantage l’embourgeoisement. « Dans nos recherches, on a constaté que la cohabitation prend environ de 10 à 20 ans pour bien se faire. »

Comment ? Avec des lieux et des évènements rassembleurs. Pensons à la Grande nuit de la poésie de Saint-Venant-de-Paquette. Aux « vendredis pizza » de Saint-Camille. Et au couvent Mont Saint-Patrice de Richmond.

Des exemples parmi tant d’autres.