Curieux miroirs que ces espaces où nous avons élu domicile. En les interrogeant un tant soit peu, ils nous renvoient de précieux signaux aussi bien sur notre confort psychologique que sur nos troubles mentaux, tout comme ils peuvent agir sur notre bien-être et nos humeurs selon nos aménagements, décorations et autres soins de la demeure. Des messages susurrés par nos murs et pièces à écouter d’autant plus attentivement en ces temps de confinement.

De nombreux psychanalystes se sont penchés sur la fonction révélatrice de nos habitats, examinant aussi bien les penchants pour la décoration, les fonctions des pièces ou encore leur distribution entre les membres de la famille. Parmi eux se trouve le psychiatre et chercheur Alberto Eiguer, auteur de deux ouvrages remarquables sur cette question, pour qui la maison est le lieu où nous sommes le plus authentiques et où s’exprime au mieux notre propre personnalité. Joint à Paris, il a souligné pour nous certains rapports entre la santé mentale d’un occupant et son lieu de vie.

« La maison est un reflet de notre âme, et à ce titre, nos difficultés, nos troubles non résolus, nos secrets de famille sont projetés sur l’habitat réel », débute-t-il. Quels signaux devrions-nous observer ? Il suggère de commencer par les notions d’ordre et de désordre. « Là où il y a un désordre, on peut dire qu’il y a un trouble, comme dans une maison où les couloirs et lieux de passage sont encombrés, où les portes se ferment mal », pointe-t-il. Son livre Votre maison vous révèle nuance le propos : un désordre modéré est justifiable, tandis qu’un ordre excessif dénote une volonté de maîtrise. « Les habitudes extrêmes, trop d’ordre ou de désordre, montrent que les objets sont devenus plus importants que les personnes », écrit M. Eiguer. 

L’ordre excessif est peut-être lié à l’angoisse de produire un désordre inconscient, un désordre moral.

Alberto Eiguer, psychiatre, chercheur et auteur

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’ALBERTO EIGUER

Alberto Eiguer est psychiatre, psychologue et psychothérapeute. Il a effectué des travaux dans de nombreux domaines, dont celui de la fonction de révélation que constitue la maison. 

Outre ce symptôme primordial, de très nombreuses autres pistes sont à étudier pour tenter de faire porter à la conscience des malaises potentiels. « Si un endroit est très sombre, n’est-il pas intéressant de se demander pourquoi ? Aussi, pourquoi recourir à certaines couleurs ? », interroge le psychiatre, qui incite également à examiner la place accordée (ou non) aux plantes et aux êtres vivants dans l’habitat, connotant un attachement à la vie.

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Dans Lieux de vie : ce qu’ils disent de nous, le psychothérapeute Pierre Heurre et l’expert en immobilier François Robine portent, quant à eux, notre attention sur la place de la pharmacie familiale et l’exhibition de médicaments — en évidence sur une table de chevet, par exemple. « La multiplication de ces lieux de stockage apparents signe le degré de souffrance des résidents », écrivent-ils.

Autre point soulevé par Alberto Eiguer : considérer les lieux de l’investissement, par exemple un séjour qui serait surchargé d’œuvres d’art et d’objets de valeur, disposés de façon ostentatoire. 

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Certaines personnes peuvent être portées sur le paraître, cherchent à « remplir les yeux » des visiteurs, alors qu’il manque peut-être des choses à l’intérieur.

Alberto Eiguer

Il invite également à observer la distribution des pièces entre les membres de la famille. « Si la meilleure place est donnée à l’enfant, cela montre que l’on cherche à lui donner un investissement privilégié, au détriment des adultes », explique M. Eiguer, qui invite à s’interroger sur la place des occupants logés dans les pièces les moins privilégiées, comme celles où il y a du passage et un manque d’intimité. « De mon expérience, les problèmes sont souvent résolus quand les parents ont plus conscience de leurs besoins d’intimité », rapporte le psychiatre.

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L’insoutenable variabilité du bien-être

Si la maison, par ce discours muet et inconscient, est ainsi capable de refléter bien des névroses, elle peut tout aussi bien constituer une source de notre bien-être, au-delà de sa fonction primaire d’« abri ».

« La maison nous fait feedback, et tout ce que nous y mettons va contribuer plus ou moins à notre bien-être, à la dissolution des difficultés, à l’obtention de satisfactions esthétiques. Tout ce que l’on y fait, on devrait se l’approprier, le faire sien, y mettre sa propre identité, ses propres valeurs », suggère M. Eiguer, qui compare l’acte de décoration à celui d’un artiste, gagné par le « saisissement intérieur », composant au fil du temps et des humeurs une fresque historique.

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Or, il apparaît rapidement que la recette miracle universelle n’existe pas, les ingrédients variant selon la culture, l’époque, l’âge, l’éducation, etc., souligne l’historien Jacques Pezeu-Massabuau dans son livre Du confort au bien-être. « Des paramètres du confort, aucun n’ouvre véritablement la porte à une possible mise en système », constate-t-il. Idem pour les couleurs : de nombreux ouvrages, souvent ésotériques, ont beau traiter la question en appairant des teintes et leurs vertus supposées, le choix reste associé intimement à nos sentiments et souvenirs.

« C’est souvent une découverte, ce n’est pas quelque chose calculée d’avance, ce qui montre bien qu’il y a un travail qui va être du dedans vers le dehors et du dehors vers le dedans », indique M. Eiguer au sujet des signes généraux envoyés par notre habitat.

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De nature agréable

Virginie LaSalle, professeure adjointe à l’École de design de l’Université de Montréal, abonde : il y a trop de variables pour affirmer que certaines configurations, par exemple une cuisine ouverte, sont préférables pour notre santé mentale. Cependant, elle nous conduit à sonder la biophilie (l’attrait pour la nature et le vivant), dont l’application en architecture tend à reproduire un environnement naturel ou à s’en approcher.

Dans cette optique, elle propose par exemple de créer des espaces à la vocation modulable, en référence à une clairière où des troncs d’arbre peuvent servir tour à tour de chaise, de table, d’aire de jeu, etc. Il s’agirait donc de cibler certains espaces ou du mobilier dont la fonction peut facilement et rapidement changer au cours d’une journée, d’une semaine, d’une vie.

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

« Cette flexibilité d’usage va être une forme d’environnement qu’on peut ramener à un lien que nous avons avec la nature, qu’on interprète à notre manière », explique-t-elle.

Ainsi, un bureau de travail pourrait être transformé en salle de jeux pour les enfants, puis en aire d’exercices grâce à des stratégies d’aménagement qui permettent ces mutations rapides (meubles polyvalents, rangements prévus à cette fin, etc.). Une approche plus que jamais à propos en ces temps de confinement et de télétravail.

La psychologie environnementale dirait qu’il est préférable d’avoir des pièces avec des vocations distinctes. Mais aujourd’hui, puisque nos espaces ont évolué, puisqu’on compresse toutes les activités à l’intérieur, est-ce vraiment possible ?

Virginie LaSalle, professeure adjointe à l’École de design de l’Université de Montréal

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Virginie LaSalle, professeure adjointe à l’École de design de l’UdeM, indique que l’aménagement d’une pièce modulable constitue une réponse moderne à notre besoin de bien-être à la maison, ancrée dans le courant de la biophilie.

« Pouvoir choisir la vocation d’un espace au moment où on en a besoin, ça soutient le bien-être de la personne et de la famille en général », soutient-elle, précisant que l’on peut jouer sur les ambiances, la luminosité, l’environnement sonore, par exemple.

« Vive les maisons, si elles permettent de traduire notre être et si on peut tirer quelque satisfaction ! », conclut le psychiatre Alberto Eiguer.

Maison et psychologie, trois livres à lire

IMAGE FOURNIE PAR DUNOD

L’inconscient de la maison, d’Alberto Eiguer

L’inconscient de la maison, Alberto Eiguer. Y est développée l’idée de réciprocité entre l’habitat et ses occupants. Votre maison vous révèle est également saisissant, peut-être plus grand public, passant notamment en revue les pièces une à une.

La maison sur le divan, Patrick Estrade. Cet ouvrage complet ratisse très large en étudiant tous les rapports qui nous lient à l’habitation, proposant une thérapeutique globale.

IMAGE FOURNIE PAR POCKET ÉVOLUTION

La maison sur le divan, de Patrick Estrade

L’étonnant pouvoir des couleurs, Jean-Gabriel Causse. Des milliers d’ouvrages traitant la question de l’influence des teintes sur notre humeur, celui-ci nous a paru des plus sérieux et documentés.